Suite à l'arrêt de la CJUE (Cour de justice de l'Union européenne) jugeant illégale la dérogation pour l'emploi de néonicotinoïdes en semences de betteraves, la France se donne quelques jours pour réagir.  Le conseil de surveillance, instance prévue par la loi du 14 décembre 2020 (1), a ainsi décidé de reporter au 26 janvier 2023 sa réunion initialement prévue ce vendredi 20 janvier. 

"Le gouvernement utilisera le délai permis par ce report pour expertiser les conséquences juridiques de cette décision en droit français et les conséquences pour la campagne de production qui s’ouvre", indique le ministère de l'Agriculture dans un communiqué de presse paru le 19 janvier 2023.

Il rappelle être par ailleurs "engagé depuis deux années dans un programme de sortie de néonicotinoïdes sur les semences de betterave et de recherche d’alternatives". Et de citer le PNRI (plan national de recherche et d’innovation) focalisé sur la jaunisse de la betterave sucrière, mais qui, selon la CGB (Confédération générale des planteurs de betteraves) "n'apporte pas encore d'alternatives aux néonicotinoïdes, déployables en 2023". 

« À seulement quelques semaines des semis de betteraves, on ne peut pas envisager de rester dans l’impasse face aux virus dévastateurs de la jaunisse", insiste la CGB qui s'insurge contre la décision de la CJUE.

"Conséquences désastreuses"

"La brutalité d’une telle décision, appliquée en l’état, risque d’entraîner des conséquences désastreuses et irréversibles dans nos territoires ruraux alors même que les politiques encouragent la souveraineté alimentaire/énergétique et la réindustrialisation de la France", poursuit la CGB. Pour son président, Franck Sander, l'arrêt de la CJUE est "décalé par rapport aux engagements de la filière  sur la gestion des risques, les techniques culturales préventives". Et d'insister : "On est pris par le temps, les agriculteurs vont avoir du mal à se retourner." Avec la crainte tout de même que certains réduisent la voilure en termes de surfaces pour limiter les risques, car "le réservoir virulifère est là", soutient Franck Sander.

L'AIBS (association interprofessionnelle de la betterave et du sucre) regrette aussi la décision de la CJUE qui "met les agriculteurs et les industriels de la filière dans une très grande difficulté". Elle se dit "mobilisée pour analyser dans ce nouveau contexte toutes solutions palliatives à l'aube des semis de la campagne de 2023-2024".

La FNSEA tient de son côté à "alerter le gouvernement et l'Union européenne sur les conséquences de cette décision si elle venait à être appliquée brutalement : mise en danger de la pérennité des exploitations à quelques semaines des semis, car les agriculteurs ont déjà prévu les emblavements, acheté leurs semences et donc engagé des charges pour l'année culturale." Dans un communiqué paru le 20 janvier 2023, elle appelle ainsi le gouvernement à "'accélérer le développement des solutions alternatives (...) et à examiner toutes les solutions permettant de préserver la sole betteravière française." 

"Interdiction stricte et définitive"

Mais Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres (Écologiste - Nupes) a d'ores et déjà indiqué qu'elle allait déposer la semaine prochaine une proposition de loi d'abrogation de la loi du 14 décembre 2020 pour rétablir "l'interdiction stricte et définitive des néonicotinoïdes en France".

Une position partagée par la Confédération paysanne qui estime que "le recours systématique aux néonicotinoïdes n'est pas justifié". 

"La fin des néonicotinoïdes est connue depuis longtemps, juge le syndicat agricole. La filière des betteraves a eu le temps de se préparer et le conseil de surveillance a été mis en place spécifiquement pour accompagner ce changement. Malheureusement, il semble qu'une majorité de ses membres a plutôt travaillé à assurer la reconduction de la dérogation d'année en année, sans débat."

Et d'insister : "Le revenu des producteurs de betteraves est bien plus affaibli par la dérégulation du secteur et donc la baisse significative des prix de la betterave depuis la fin des quotas que par la baisse des rendements causée par la jaunisse."

(1) relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières.