La proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », portée par le sénateur Laurent Duplomb (LR) et examinée ce 13 mai 2025 en commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, suscite l’inquiétude des associations environnementales. Le débat public s’est largement concentré sur les dispositions concernant les pesticides, mais un autre volet du texte pourrait assouplir la réglementation encadrant les élevages.

Relèvement significatif des seuils

L’article 3 de cette proposition de loi prévoit de relever les seuils à partir desquels les élevages sont soumis à une procédure d’autorisation environnementale, dans le cadre des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Le nombre maximal d’animaux autorisés sans cette procédure serait plus que doublé pour les volailles, passant de 40 000 à 85 000 emplacements. Il augmenterait de 50 % pour les porcs (de 2 000 à 3 000 emplacements). Le texte ouvrirait également la voie à une possible exonération des élevages bovins de ces procédures, quelle que soit leur taille.

« Cette modification pourrait entraîner un doublement des élevages industriels à la fois en nombre d’exploitations et en nombre d’animaux », dénonce Elyne Etienne, responsable du programme et du plaidoyer sur l’élevage durable à la Fondation pour la nature et l’homme (FNH), contactée par La France Agricole le 13 mai 2025.

Hier, le 12 mai, FNH signait avec un collectif d’associations comprenant CIWF, Greenpeace, Quatre pattes et le Réseau action climat (RAC), un communiqué dénonçant l’initiative parlementaire. Cette dernière va à l’encontre de l’opinion publique française, selon les organisations, qui rappellent qu’un sondage Ifop de 2022 indiquait que 85 % des Français se déclarent opposés à l’élevage intensif.

Les défenseurs de la proposition de loi, parmi lesquels figurent la FNSEA et ses associations spécialisées, estiment quant à eux que ces mesures sont nécessaires pour alléger les contraintes administratives pesant sur les agriculteurs et améliorer leur compétitivité.

Infime minorité d’exploitations

Le communiqué des associations environnementales souligne que ces allègements réglementaires ne concerneraient qu’une fraction très limitée des élevages français. Selon les calculs de la Cour des comptes cités par ces organisations, moins de 8 % des exploitations relèvent actuellement du régime d’enregistrement et moins de 2 % du régime d’autorisation.

« Cela concerne donc une poignée d’exploitations, dont la réalité socio-économique est très éloignée de celle des exploitations de taille plus modeste — celles qui se sont notamment mobilisées lors des manifestations agricoles de l’an dernier », souligne Elyne Etienne,

Sur le plan réglementaire, les ONG jugent inexact de parler de surtransposition française pour les seuils applicables aux élevages de volailles et de porcs. « La révision de la directive sur les émissions industrielles [appelée aussi directive IED, NDLR] ouvre effectivement une possibilité d’augmenter ces seuils, mais ce n’est pas encore le cas, explique Elyne Etienne. Il n’est pas raisonnable d’anticiper autant les changements sans connaître exactement ce qui va advenir » à Bruxelles d’ici à 2026.

Pour les élevages de bovins, la situation est particulière. Si la directive actuelle ne les inclut pas — cela pourrait évoluer — seul 0,1 % des élevages bovins est aujourd’hui soumis à autorisation ICPE en France. « En revanche, ces élevages présentent des risques industriels avérés, estime Elyne Etienne. C’est pourquoi, selon nous, la suppression des seuils applicables aux élevages bovins n’a pas de sens. La Direction générale de la prévention des risques (DGPR) partage d’ailleurs cette position, en raison des risques importants associés à ces structures : fortes émissions de méthane et d’ammoniac, mais aussi des accidents déjà recensés. »

Un risque pour le modèle agricole français

Dans leur communiqué commun, les opposants à la proposition de loi Duplomb craignent que ce texte accélère un mouvement de concentration et « d’industrialisation » de l’élevage français. Ils alertent sur le risque de voir disparaître les exploitations à taille humaine « au profit d’une agriculture fortement capitalisée et dépendante d’importations (soja, engrais de synthèse) ».

« Favoriser l’intensification de l’élevage en France risque d’aggraver les difficultés des éleveurs qui veulent conserver un modèle à taille humaine », argumentent les ONG. Cela pourrait aussi « accentuer la concentration du cheptel dans les exploitations les plus grandes, qui nécessitent des capitaux très importants, et menacer le renouvellement des générations au profit d’une agriculture financiarisée. » Elyne Etienne abonde : le texte ne répond pas « aux défis du revenu et du renouvellement de génération, puisque ces exploitations sont très très difficiles à transmettre ».

Bataille législative

Face à ces risques, les associations environnementales espèrent la suppression pure et simple de l’article 3. Des amendements de suppression ont été déposés principalement par les groupes parlementaires de gauche. « Les députés sont divisés sur le sujet, constate Elyne Etienne. Ce qui est notable, c’est que, contrairement à nos craintes initiales, peu d’amendements cherchent à aller au-delà du compromis adopté par le Sénat. À ce stade, le texte ne semble donc pas devoir être durci davantage — ce qui est un moindre mal. » Pour autant, selon les ONG, le compromis actuel va déjà trop loin.

Pour éclairer ce débat complexe, les associations ont produit un document de décryptage d’une trentaine de pages qu’elles diffusent aux parlementaires et aux journalistes. Elles espèrent ainsi limiter le dépôt d’amendements visant à assouplir encore davantage le texte, voire susciter des prises de position plus prudentes à l’égard de l’article 3 tel qu’il est rédigé aujourd’hui.