Une bosse de zébu, une robe de holstein, des oreilles tombantes… Les vaches de Nouvelle Normandia ont emprunté des gènes de-ci de-là. Mais « leur arrière-arrière-arrière grand-mère est ivoirienne », sourit le docteur Kalidou Ba, qui nous accueille sur l’élevage en banlieue d’Abidjan. « On a longtemps dit que les zones tropicales africaines n’étaient pas propices à l’élevage bovin à cause de la trypanosomiase, transmise par la mouche tsé-tsé, raconte-t-il. La Côte d’Ivoire s’est donc tournée vers le cacao, le palmier et l’hévéa. Mais les gens d’ici mangent de la viande et boivent du lait ! » Convaincu qu’il pouvait élever des vaches, car « il y a de l’eau et du fourrage en quantité, il suffit de maîtriser l’aspect sanitaire », il s’est résolu à le prouver. Ayant bénéficié de l’appui technique de deux éleveurs français à la retraite, à la sortie de son école vétérinaire, il est, depuis 2006, directeur technique de Nouvelle Normandia. « La seule entreprise collectant et transformant du lait frais dans le sud de la Côte d’Ivoire », souligne l’ambassade de France. Laquelle montre, pour ce projet, bien plus d’intérêt que les autorités du pays, regrette le vétérinaire, qui n’a jamais reçu « ni subvention ni visite d’aucun élu ».
Avant lui, deux expériences de production laitière avaient tourné court. D’abord, avec un croisement local de N’dama (1) et d’abondance. Puis, avec des montbéliardes et brunes importées en race pure. Le docteur Ba, lui, a inséminé des races locales avec des semences importées de France, puis du Brésil.
Concurrence
Aujourd’hui, ses soixante vaches produisent chaque jour 500 litres de lait, qui sont transformés sur place en yaourts, fromages, crèmes et lait caillé. Dans les rayons des grandes surfaces, ces produits jouxtent leurs homologues fabriqués à base de poudre de lait importée.
« Ici, les gens regardent le prix, pas la composition ni l’origine, regrette le vétérinaire. Or, nos concurrents qui utilisent de la poudre de lait importée, parfois additionnée de graisses végétales, et qui fabriquent eux-mêmes leurs emballages, peuvent vendre leurs yaourts 250 FCFA (0,38 €). Les nôtres coûtent 100 FCFA de plus ! »
C’est un cercle vicieux : ses produits sont trop chers pour qu’il puisse développer ses ventes. Mais sans augmenter en volume, impossible d’amortir l’investissement qui lui permettrait de fabriquer ses emballages, donc d’abaisser son coût de revient. En attendant, l’entreprise est juste à l’équilibre. Les autres activités du propriétaire, à la tête de grandes plantations, maintiennent le tout à flot.
Pour des Ivoiriens qui n’auraient pas cette assise financière, ni l’expertise technique du docteur Ba, l’élevage laitier représente un investissement démesuré et trop peu rentable face à la concurrence. « Sans volonté politique, on continuera à importer, s’emporte-t-il. Alors qu’on a toutes les ressources nécessaires ! »
(1) Race autochtone trypanorésistante, mais à la production laitière quasi nulle.