« En une génération, le profil sociologique des étudiants qui intègrent les écoles nationales d’agronomie a changé. Ils sont déconnectés du milieu rural, connaissent très peu les pratiques et les problématiques agricoles. Ils sont attirés par le côté scientifique de la classe préparatoire, son triptyque “mathématiques-physiques-sciences naturelles” et surtout l’importance de la biologie dans ces enseignements. Un “tropisme” que l’on va retrouver au moment de choisir la spécialité de troisième année où les filières agronomiques, comme “sciences et génie de l’environnement” sont davantage demandées que celles de l’agroalimentaire. Travailler, par exemple, dans un parc naturel à l’interface entre agriculture, collectivités locales, organismes techniques, préservation des paysages, leur paraît fort séduisant, mais il y a peu d’emplois dans ce secteur. La spé “protection des cultures”, avec la perspective de travailler dans le domaine du biocontrôle, a aussi la cote.
Coller aux exigences sociétales et environnementales
Ici, à l’Ensaia, lors du tout premier semestre, nous faisons rencontrer aux élèves des professionnels, notamment des industriels. Un cheminement se fait dans leur tête et certains choisiront finalement les spécialités liées aux IAA (industries alimentaires et agricoles). Dans le secteur de la production, du packaging, faire évoluer les process est indispensable afin de réduire la consommation d’énergie et de matières premières. Des thématiques à investir pour coller aux exigences sociétales et environnementales. Les étudiants le comprennent bien. Lors du choix de la spécialisation, ils ont comblé une bonne partie de ce qui leur manquait et ils sont à même de faire leur choix en connaissance de cause. Beaucoup aussi font une césure entre la deuxième et la troisième année. Ils en reviennent mûris. Au final, les spés de l’agroalimentaire accueillent toujours un quota régulier d’élèves.
Les médias généralistes ne nous aident pas non plus, car ils jettent régulièrement l’opprobre sur l’agriculture soi-disant pollueuse, sur l’élevage intensif. Alors que les agriculteurs savent désormais ce qu’il leur en coûte en matière de santé, de charges financières et de soucis sur leur environnement s’ils utilisent des phytos sans modération. Moi-même élève ingénieur agro, en stage dans une coopérative agricole, j’ai effectué, il y a trente-cinq ans, des traitements dans des parcelles d’essai avec le système de pulvérisation harnaché sur le dos, sans gants, ni lunettes de protection ni masque. Inconcevable aujourd’hui !
Un côté « enfants gâtés »
Concernant la polémique suscitée par les six étudiants d’AgroParisTech, lors de leur remise de diplôme, elle me gêne dans le sens où ils ont pris la parole justement lors d’une cérémonie qui venait clore des études qu’ils semblaient renier. Leur intervention avait un côté “enfants gâtés”. Je suis bien d’accord que c’est à cet âge qu’il faut bousculer, et une partie de leur message était pertinente. Toutefois, l’Agro de Paris, comme les autres écoles d’agronomie, ne prône pas le productivisme à tout crin, mais un modèle équilibré de l’agriculture, des filières de l’amont et de l’aval. Après, à voir ce que ces six jeunes auront fait de leur vie, professionnelle, dans vingt ans… »
(1) L’École nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires de Nancy fait partie des six écoles nationales d’agronomie accessibles par concours d’entrée après la classe préparatoire BCPST (biologie, chimie, physique, sciences de la Terre).