Invisibles à l’œil nu, les micro-organismes représentent 75 à 90 % de la biomasse vivante du sol. Ils sont à l’origine de nombreuses transformations chimiques permettant le recyclage des éléments, en particulier le carbone, l’azote, le phosphore ou le soufre, en biodégradant les matières organiques préalablement fragmentées par la macrofaune (vers, araignées, insectes, acariens, etc.). On estime que 15 à 35 tonnes de matière organique sont ainsi recyclées par hectare et par an.

Afin de permettre aux plantes d’absorber ces éléments minéraux, ils sont en interaction directe avec les racines, dans une zone riche en échanges appelée rhizosphère. Plantes et micro-organismes fonctionnent selon un contrat donnant-donnant : la plante fournit de l’énergie sous forme d’exsudats constitués de sucres et de protéines aux habitants du sol qui, en échange, lui procurent les nutriments nécessaires à sa croissance.

Impact sur la fertilité

Parmi ces micro-organismes, certains ont poussé encore plus loin la coopération en colonisant l’intérieur de la plante : les rhizobiums, bactéries fixatrices d’azote chez les légumineuses, et les mycorhizes, champignons dont les filaments colonisent les racines, leur permettant d’explorer un très grand volume de sol.

Des expérimentations en laboratoire et au champ ont mis en évidence l’importance de la biodiversité microbienne sur la fertilité des sols. « En réduisant la biodiversité des micro-organismes de 30 %, nous avons observé une baisse de la minéralisation de la matière organique de l’ordre de 40 % », développe Lionel Ranjard, agroécologue du sol à l’Inra de Dijon.

Afin d’acquérir des références sur la diversité microbiologique des sols agricoles, Lionel Ranjard et son équipe ont mis en place en 2011 un système de sciences participatives avec 250 agriculteurs dans toute la France, dont une moitié en grandes cultures et une autre moitié en viticulture. « Le projet AgrInnov a amené des chercheurs et des agriculteurs à collaborer, et cela s’est avéré très positif », s’enthousiasme Lionel Ranjard.

Des sols agricoles de qualité

Chaque parcelle a été échantillonnée et analysée en laboratoire, pour caractériser la biomasse et la diversité microbienne, ainsi que celle des vers de terre et des nématodes. Les résultats de ce projet sur la période 2011-2015 ont montré que seulement 10 % des parcelles étudiées étaient dépréciées en termes de patrimoine et de fertilité biologique, les sols viticoles étant plus altérés que les sols de grandes cultures. « C’est un résultat encourageant pour la qualité des sols agricoles, affirme Lionel Ranjard, mais qui doit être consolidé en étendant les analyses sur un plus grand nombre de sols et de systèmes de production. »

Cette extension est en bonne voie : en 2018, la participation de 200 à 300 agriculteurs supplémentaires est prévue. Autre résultat encourageant : 59 % des agriculteurs ayant participé à AgrInnov ont commencé à changer leurs pratiques sur la base du diagnostic biologique effectué (amélioration de la couverture des sols, réduction des phytos, par exemple), rassurés par la capacité de leurs sols à assurer un bon fonctionnement biologique.

Référentiel national

Contrairement à certaines idées reçues, les sols agricoles ne sont pas « morts ». Les chercheurs de l’UMR Agroécologie de l’Inra de Dijon sont allés plus loin pour le démontrer. « Grâce au réseau de la mesure de la qualité des sols (RMQS), l’abondance et la diversité microbienne ont été analysées sur 2 200 points d’échantillonnage balayant toute la France », détaille Sébastien Terrat, l’un des chercheurs de l’équipe. Grâce aux nouveaux outils de biologie moléculaire, non seulement la biomasse microbienne mais aussi la diversité des bactéries ont été évaluées (voir l’infographie ci-dessus). Résultats : la biomasse microbienne, exprimée en microgrammes d’ADN par gramme de sol, varie en fonction de l’usage des terres.

Ainsi, les prairies arrivent en tête, devant les forêts, cultures, vignes et vergers. En revanche, la diversité de ces bactéries, exprimée en nombres de taxons (groupes d’individus partageant des caractéristiques génétiques proches), dépend plus du type de sol que de son mode d’utilisation. Les sols les moins riches en diversité bactérienne se trouvent dans le Sud-Ouest (Landes), le Centre et le Nord-Est, alors que les sols les plus riches sont situés en Bretagne, dans le Nord et sur le pourtour méditerranéen.

Un projet est en attente de financement pour effectuer ce même type d’étude avec les champignons du sol. Elle permettra d’élaborer, pour la première fois, des référentiels sur l’abondance et la diversité des sols à l’échelle nationale.