Dans le jardin d’Orlando, plusieurs agents du Service de l’agriculture et de l’élevage (SAG) du Chili s’emploient à cueillir, à l’aide d’une perche, tous les fruits mûrs de ses arbres. Bien qu’ils semblent savoureux, ces derniers seront enterrés dans un fossé puis recouverts d’insecticides. « Je suis triste de voir partir mes coings, mais c’est ce qu’il faut faire », reconnaît le retraité. À seulement 60 mètres de son domicile, situé à San Bernardo, une commune au sud de Santiago la capitale, plusieurs spécimens de mouches des fruits ont en effet été détectés quelques mois plus tôt. Face à cette découverte préoccupante, les autorités sanitaires ont lancé en mars une vaste campagne d’éradication.

Un avantage compétitif à défendre

Capable de pondre ses œufs dans plus de 250 espèces de fruits, Ceratitis capitata fait partie des nuisibles les plus redoutés au Chili. S’il s’agit du seul État d’Amérique à avoir obtenu, en 1995, le statut de pays exempt de cet insecte, il n’est pas rare que cette mouche soit retrouvée au sein du territoire. « La mouche des fruits est soit transportée par voie aérienne, par des voyageurs qui ramènent des fruits frais sans en avoir l’autorisation, soit par voie terrestre, souvent dans des fruits de contrebande importés du Pérou ou de la Bolivie », explique Guillermo Crothers, ingénieur agronome et chef de la campagne d’éradication menée à San Bernardo.

L’essor du tourisme au Chili augmente les risques, ce qui contribue à la hausse du nombre de spécimens capturés ces dernières années. Les autorités sanitaires ne prennent pas cette propagation à la légère. Conserver le statut de pays libre de la mouche des fruits s’avère capital, car cet avantage compétitif a aidé le Chili à devenir le cinquième exportateur de fruits de la planète. Rien qu’en 2023, cette filière a généré 7 milliards de dollars de ventes. « Nous avons mis en place des normes strictes et un programme d’audit indépendant qui garantit notre efficacité dans la lutte contre ce nuisible, assure Guillermo Crothers. Les pays qui achètent nos fruits peuvent d’ailleurs envoyer des délégations pour vérifier nos opérations. »

Des contrôles aux frontières

Dès lors que deux spécimens sont détectés dans l’un des 15 000 pièges olfactifs répartis à travers le pays, une campagne d’éradication est lancée. Dans un rayon de 800 mètres autour de la capture, le SAG visite peu à peu toutes les habitations afin de vérifier l’ensemble des plantes et de sensibiliser les citoyens. Comme chez Orlando, des mesures spécifiques sont parfois appliquées afin de minimiser les risques de propagation.

Par ailleurs, tous les agriculteurs se trouvant dans un rayon de 7,2 km doivent effectuer un traitement par le froid sur leurs fruits et adopter un niveau de vigilance renforcé en ce qui concerne l’emballage. Le dérèglement climatique pourrait bien pousser le Chili à se montrer encore plus drastique dans sa lutte contre la mouche des fruits, selon Guillermo Crothers. « Les températures hautes favorisent sa prolifération », précise-t-il. En attendant, le SAG prévoit aussi de multiplier les contrôles aux frontières, afin de réduire l’importation de fruits frais non réglementée, et relâche désormais des mouches mâles stériles dans les zones sous quarantaine, pour limiter les reproductions.