« Nous avons deux superpuissances économiques mondiales qui nous livrent une guerre commerciale en même temps, se désole Rick White, directeur de l’Association canadienne des producteurs de canola (CCGA). Nous avons connu des difficultés, mais jamais de cette ampleur. C’est le pire des scénarios pour nous », ajoute-t-il à quelques semaines du printemps, période où les producteurs sèment le canola une fois la neige fondue.

Les exportations menacées

Grand pays agricole, le Canada est l’un des principaux producteurs de cet oléagineux utilisé pour fabriquer de l’huile de cuisson, du biodiesel et des tourteaux (aliments pour animaux). Mais les exportations de canola sont peu diversifiées, avec deux très gros marchés : les États-Unis et la Chine. Deux pays avec lesquels Ottawa est engagé dans un bras de fer douanier.

Pékin a annoncé qu’il taxerait l’huile de colza à 100 %, à partir de jeudi, pour punir Ottawa de ses droits de douane sur les véhicules électriques produits en Chine. Le Canada est aussi sous la menace de taxes douanières généralisées par les États-Unis. Cette double offensive a conduit ces derniers jours à un effondrement des cours du canola à la Bourse de Winnipeg, qui a entraîné dans sa déroute le prix du colza européen.

Des agriculteurs dans l’incertitude

Il faut que tout soit réglé avant la mi-avril, enrage Jason Johnson, un agriculteur du Manitoba, poumon agricole du pays. « Nous allons semer dans environ un mois et une fois que nous l’aurons fait, nous ne pourrons plus changer de culture », explique-t-il, alors qu’il attend les appels de vendeurs de semences pour discuter de possibles cultures alternatives.

La Chine représente près d’un tiers de la valeur des exportations canadiennes de canola, principalement sous forme de graines, tandis que les États-Unis constituent le plus grand marché pour l’huile et le tourteau de canola canadiens. Pour Jason Johnson, le Canada « a eu tort d’imposer des droits de douane à la Chine ». « Nous devrions faire comme Trump, menacer d’imposer des droits de douane puis se rétracter. »

Ce producteur aux larges épaules, qui exploite 1 000 hectares dont 400 de canola à la frontière canado-américaine, est certain que les États-Unis imposeront prochainement des tarifs douaniers qui vont frapper son secteur de plein fouet. Les annonces fluctuantes de Donald Trump dans ce domaine ont provoqué un électrochoc au Canada car 75 % de ses exportations partent vers les États-Unis et une guerre tarifaire causera d’importants dégâts à son économie.

« Discussions avec la Chine »

« Nous demandons au gouvernement canadien d’engager immédiatement des discussions avec la Chine », explique Chris Davison, directeur général du Conseil du canola au Canada, qui regroupe producteurs, exportateurs mais aussi fabricants d’aliments pour animaux.

Les relations Ottawa Pékin sont à couteaux tirés depuis plusieurs années, notamment depuis la crise avec Huawei et l’arrestation en 2018 de Meng Wanzhou, la directrice financière du groupe chinois, suivie de l’incarcération en Chine de deux Canadiens. Si tous les trois ont depuis été libérés, les tensions ont perduré, Pékin reprochant à Ottawa son alignement sur la politique chinoise de Washington et les autorités canadiennes accusant régulièrement la Chine d’ingérence.

En attendant, les producteurs canadiens s’interrogent : peuvent-ils encore compter sur la culture de ces grands champs de fleurs jaunes pour vivre ? Changer son fusil d’épaule ne serait pas chose aisée. Les autres marchés pour le colza sont « plus petits », rappelle Jason Johnson, et « nous avons beaucoup investi au cours des 20 dernières années dans les infrastructures » destinées à cette culture.