« Je dois concurrencer le comté sur les tablettes (équivalent québécois des étales), c’est une concurrence déloyale ! », dit Charles Trottier, copropriétaire de la fromagerie Les Grondines située à une quarantaine de kilomètres de la ville de Québec. L’éleveur de vaches suisses brunes et fromager biologique cible les diverses aides européennes octroyées à ses cousins français pour favoriser l’agriculture de montagne, incluant la transition écologique, transgénérationnelle, et la promotion du célèbre fromage comté.

Le secteur laitier canadien, qui opère sous gestion de l’offre, a dû concéder l’entrée de 17,7 millions de kg de fromage européen depuis l’entrée en vigueur du Ceta en septembre 2017. Le gouvernement canadien a alors prévu une compensation de 1,2 milliard de dollars (800 millions d'euros) en paiement direct aux éleveurs, dont ceux du Québec où se produisent aujourd’hui plus de mille fromages.

Mais au cours de l’année 2024, si les agriculteurs québécois ont manifesté à plusieurs reprises leur mécontentement au volant de leurs tracteurs au point d’inciter le Premier ministre, François Legault, à parler de « crise », le Ceta ne serait pas directement en cause. La hausse des taux d’intérêt, le niveau d’endettement des producteurs, le plus haut au Canada, une trop lourde bureaucratie, une demande d’augmentation des compensations pour des pertes de récoltes dû au dérèglement climatique expliquent la grogne, selon une analyse de l’Institut Jean Garon, un groupe de réflexion.

Une balance commerciale favorable

De 2017 à 2023, le commerce agricole bilatéral entre le Canada et l’Union européenne (UE) a en effet oscillé entre 3,5 et 5 milliards de dollars canadiens (2 et 3 milliards d'euros) avec une balance commerciale nettement en faveur des agriculteurs canadiens.

Depuis les grandes prairies canadiennes s’exportent des milliers de tonnes de blé dur, de canola (colza), et aussi des graines de moutarde qui servent à confectionner la fameuse moutarde de Dijon. La viande de bœuf canadien gagne les marchés asiatiques plutôt que celle de l’UE, en raison de l’utilisation d’hormones de croissance.

Le Québec moins bien loti

En revanche, contrairement au reste du Canada, la balance agricole commerciale du Québec est largement déficitaire avec l’UE même si ses exportations de légumes, de petits fruits et ses préparations comme les bleuets, la canneberge, ont augmenté de 119 % depuis 2017. S’ensuivent les produits d’érable, dont des biscuits, voire de la viande porcine « un marché niche pour de la viande biologique », selon Martin Lavoie, président-directeur général du groupe Export agroalimentaire du Québec.

C’est que la Belle Province est friande de vins et de fromages français, italiens et hollandais. Dans un élan patriotique en avril dernier, le Premier ministre François Legault a reçu à dîner l’ex-Premier ministre français, Gabriel Attal, à Québec avec au menu du cidre de la glace et… des fromages fins du terroir québécois.