« Le feu était à dix kilomètres de la ferme ! On a déménagé le troupeau en 24 heures dans une zone plus sécuritaire », raconte Éric Lafontaine, un éleveur de bovins et copropriétaire de la ferme Noël-Fontaine située en Abitibi Ouest à 700 kilomètres au nord de Montréal. En 2023, la province de Québec en particulier, et le Canada, se sont embrasés comme jamais d’un bout à l’autre du pays. Aussi le 10 juin restera une date marquée au fer rouge pour les trois propriétaires de la ferme, Éric, sa conjointe Hélène Noël et leur fille, Corinne.

Des incendies en pleine période des vêlages

Les autorités du village de Dupuy ont donné l’ordre d’évacuation alors que le feu menaçait de raser le petit bourg de moins de 1 000 habitants, érigé en 1919 et situé dans un pays de mines et de forêts. Les grands-parents d’Éric Lafontaine ont d’ailleurs défriché les parcelles boisées de la région pour les transformer en prairies.

L’exploitation, aux mains de la quatrième génération, compte 445 hectares de prairies et 566 hectares de pâturages. Elle est spécialisée dans la production de bouvillons semi-finis, c’est-à-dire vendus à l’âge d’environ 16 mois alors qu’ils pèsent entre 227 kg et 317 kg. Le feu s’est manifesté en pleine période de vêlage et la priorité a été donnée au sauvetage des veaux.

La solidarité pour salut

Pour échapper aux flammes, il a fallu compter sur la solidarité des éleveurs de la région pour transférer par camion, les 350 vaches de l’entreprise et leurs veaux dans un parc d’engraissement situé à une centaine de kilomètres. Sans compter les quelque 60 bêtes à l’engraissement pour lesquelles il a fallu trouver des pâturages à l’abri du danger.

C’est un printemps affublé d’une sécheresse sans précédent de mémoire d’homme qui a transformé la forêt et les brindilles au sol en carburant pour le feu. « Au milieu de l’été, on avait un déficit de 200 mm de pluie », décrit Éric Lafontaine. Le réensemencement des prairies en trèfle et en lotier et les pâturages en gestion intensive en ont beaucoup souffert. « On a acheté du foin pour une valeur de 200 000 $ », calcule-t-il.

Les canicules de 30°C au cours de l’été 2023 resteront historiques au moment où la saison chaude se prolonge de plusieurs semaines dans la région. Le producteur a fait creuser un puits principal en profondeur, riche en eau, pour être certain que les bêtes ne manqueront pas du liquide vital en cette époque de dérèglement climatique. La température est aussi erratique en hiver passant de –30 à 0°C en un clin d’œil. « Il va falloir s’adapter », ajoute-t-il.

La production de bœuf étant une grande contributrice aux émissions de gaz à effet de serre, les autorités encouragent la réduction de consommation de viande pour réduire l’empreinte écologique. « Dans notre région fourragère, nos bêtes convertissent les plantes en protéines animales pour alimenter les gens, leur répond Éric Lafontaine. Il y a un manque de cohérence dans la lutte face au changement climatique. Il y a plus de gens qui se déplacent en avion qu’avant la pandémie. »

Des incendies records au Canada en 2023

Si l’été 2023 s’est avéré le plus chaud jamais être enregistré par l’observatoire européen Copernicus autour du globe, le Canada détient le triste record d’une saison d’incendies de forêt destructeurs jamais vue.

Au 5 septembre dernier, plus de 6 132 feux de forêt ont ravagé 16,5 millions d’hectares, soit une superficie supérieure à celle de la Grèce et plus du double du record de 1989. En moyenne, environ 2,5 millions d’hectares sont la proie des flammes chaque année. Mais contrairement aux années précédentes, les incendies s’étendaient d’une extrémité à l’autre du pays avec 29 incendies monstrueux de plus de 100 000 hectares chacun.