Quel est votre objectif avec l’agrivoltaïsme ?

Le développement de l’agrivoltaïsme s’inscrit dans la démarche de planification écologique pour réduire nos émissions de CO2 qui a été présentée par le président de la République en septembre 2023. La logique, c’est d’accompagner le déploiement des énergies renouvelables, en parallèle des deux autres piliers de notre stratégie énergétique que sont la sobriété énergétique et le nucléaire.

L’agrivoltaïsme repose sur deux principes : la souveraineté alimentaire et agricole sera toujours prioritaire sur la production énergétique et il ne peut pas y avoir d’agrivoltaïsme sans bénéfice concret pour l’exploitation agricole.

Dans les exploitations, l’agrivoltaïsme sert à protéger des aléas climatiques et doit générer de vrais gains agronomiques que ce soit en augmentation des rendements, diminution de l’utilisation de l’eau ou en protection des cultures contre la grêle, les fortes pluies, la canicule, le gel tardif… C’est aussi un moyen d’améliorer le bien-être animal. Et nous pensons aussi au renouvellement des générations : dès lors que des documents cadres proposés par les Chambres d’agriculture seront validés, il sera interdit d’installer des panneaux solaires au sol sur une terre agricole cultivée aujourd’hui !

Notre objectif de développement du photovoltaïque concerne toutes les technologies : ombrières, toitures, installations non agricoles et agricoles. Concernant plus spécifiquement l’agrivoltaïsme, les premiers travaux de la direction générale énergie-climat estiment à ce stade qu’environ 8 gigawatts de solaire photovoltaïque pourraient être installés sur des exploitations agricoles à l'horizon de 2030. En considérant qu’un mégawatt, c’est 1 à 2 hectares, cela suppose de mobiliser au maximum 16 000 hectares, c’est moins de 0,06 % de la surface agricole utile nationale.

La priorité est-elle de mettre du photovoltaïque au sol sur les friches ou de l’agrivoltaïsme ?

L’un ne s’oppose pas à l’autre. Le photovoltaïque au sol est possible sur des parcelles dégradées, qui n’ont pas été utilisées depuis des années et qui ne le seront plus à l’avenir. Dans ce cas, il faut y aller et ne pas se poser de question.

De son côté, l’agrivoltaïsme est une technologie qui vient en soutien de l’activité agricole. Avec le dérèglement climatique qui est en train de s’accentuer, et compte tenu du rôle que ces installations peuvent jouer en complément de revenu régulier par rapport à des aléas qui se multiplient, l’agrivoltaïsme apparaît comme une solution intéressante pour accompagner les agriculteurs dans l’agroécologie.

C’est particulièrement vrai dans les zones intermédiaires. Et c’est tout l’enjeu aussi de demander aux chambres d’agriculture de travailler sur leurs chartes d’installation de l’agrivoltaïsme dans leurs territoires. Il est important de prévoir une déclinaison par département de cette stratégie agrivoltaïque car ce qui est utile sur certains territoires ne l’est pas nécessairement ailleurs. Dans les zones intermédiaires, on va chercher à faciliter l’installation de nouveaux agriculteurs avec l’agrivoltaïsme qui permettra des investissements et apportera du complément de revenus.

Dans d’autres territoires qui privilégient par exemple des cultures à forte valeur ajoutée, la question du revenu ne sera pas aussi prégnante. En revanche, la problématique de la protection des cultures contre des aléas climatiques sera forte. C’est l’exercice qui est demandé aux chambres d’agriculture ; il conduira à la rédaction de documents cadres identifiant les règles du jeu de l’agrivoltaïsme. Les chambres devront également recenser les espaces anciennement cultivés propices au développement du photovoltaïque au sol. Ces documents donneront lieu à une validation par un arrêté préfectoral.

Il n’y aura pas nécessairement des capacités de raccordement pour tout le monde, comment va s’effectuer le choix ?

L’infrastructure de raccordement, il faut la regarder comme une infrastructure routière. Quand vous installez votre maison à côté de la route nationale, vous êtes mieux relié que lorsque vous l’installez en marge d’un chemin communal. Mais dans ce dernier cas, vous ne demandez pas à la collectivité de construire une bretelle d’autoroute pour venir chez vous. C’est un peu la même chose pour le raccordement en agrivoltaïsme. Lorsqu’on porte un projet, il est important de regarder le réseau existant et les développements envisagés dans les années qui viennent. Certains projets seront plus rapides à réaliser.

L’enjeu, c’est aussi que les projets soient autoportés financièrement, c’est-à-dire que les revenus qu’ils génèrent permettent notamment de financer les investissements dans l’infrastructure de raccordement.

Est-ce qu’il n’y a pas un risque de fausser les prix du foncier à terme ?

Sur le foncier, ce qu’on va rechercher c’est le partage de la valeur. Un certain nombre de chambres d’agriculture ont déjà précisé des règles du jeu sur le partage de la valeur. C’est un travail qui est très précieux et sur lequel nous souhaitons légiférer. Un groupe de députés s’est saisi de ce sujet et travaille de manière transpartisane à l’initiative de Pascal Lecamp. Il prévoit de présenter une proposition de loi d’ici à cet été.

L’idée pourrait être que le bénéfice de l’installation revienne à l’agriculteur exploitant tout en intéressant le propriétaire. Nous sommes très soucieux de ce sujet du coût du foncier car l’installation agrivoltaïque ne doit surtout pas gêner les transmissions, ni augmenter les prix dans des proportions incohérentes avec les prix du foncier agricole classique. En tout état de cause, on parle d’une très faible part de la surface agricole française, cela devrait aussi limiter cet impact.

« Le photovoltaïque au sol sur terre cultivée, c'est fini ! » (©  Cédric Faimali/GFA)

Pourquoi l’encadrement était-il nécessaire ?

En matière d’énergies renouvelables, le risque est de voir fleurir des projets qui sont ensuite décriés par les habitants du territoire concerné et par les élus locaux, bloquant le développement des futurs bons projets. On l’a vu sur l’éolien, on l’a vu sur la méthanisation. À partir du moment où on a une nouvelle technologie prometteuse, il faut qu’elle soit déployée de manière disciplinée et ordonnée, quitte à ce qu’au départ, cela prenne un peu plus de temps. Il faut nourrir un flux continu de bons projets, qui créent la bonne jurisprudence.

Le deuxième enjeu était d’impliquer au maximum la profession agricole dans la définition de la stratégie et lui donner les moyens d’être partie prenante des projets. C’est pour cette raison que nous avons des chartes départementales, travaillées par les Chambres d’agriculture, qui précisent les conditions d’utilisation de l’agrivoltaïsme. C’est pour cette raison aussi que la CDPenaf (Commission départementale pour la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers) donne un avis conforme sur les projets. Nous donnons aux élus de terrain et aux agriculteurs les moyens de décider de la manière de procéder. Et nous les responsabilisons sur les résultats.

Cela fait presque six ans que je suis ministre et je n’ai jamais vu un sujet sur lequel les personnes d’une même profession ont des points de vue aussi différenciés sur les bénéfices ou les inconvénients de la technologie. C’est-à-dire que dans le monde agricole, j’ai entendu des gens extraordinairement en soutien ou extraordinairement en opposition à l’agrivoltaïsme. Et c’est la même chose chez les élus locaux. Pour que ça fonctionne, il faut préciser le cadre et répondre à toutes les questions légitimes qui sont posées par les acteurs, dont le fait que le développement de l’agrivoltaïsme serait un frein à l’installation, le risque d’avoir des projets « prétextes », l’augmentation du prix du foncier, l’impact environnemental, l’impact sur nos capacités de production agricole. Et c’est pour ça que nous avons pris le temps de la concertation et de remettre la science et les retours d’expérience au centre du jeu pour préparer ces textes et les publier.

Comment concilier production d’énergie et production agricole ?

C’est simple, la production agricole est toujours prioritaire sur la production d’énergie. Cela signifie par exemple que l’installation agrivoltaïque est pilotée en fonction des besoins de la plante ou de l’élevage. S’il faut de l’ombre pour les cultures, on abaisse les panneaux. Si au contraire on est dans une phase de croissance des plantes où elles ont besoin d’un maximum d’ensoleillement, on arrête de produire de l’électricité. Et ce n’est pas un problème.

Comment vont être réalisés les contrôles ?

Ce sont des contrôles de bon sens, qui vont vérifier que l’installation est bien pilotée dans l’intérêt de la production agricole. Vous aurez des contrôles qui seront confiés à des organismes certificateurs et qui vont s’assurer au démarrage de l’installation et six ans plus tard que tout est correct. Ensuite, la DDTM (Direction départementale des territoires et de la mer) interviendra si elle fait le constat que la production énergétique est privilégiée aux dépens de l’activité agricole. C’est assez simple à matérialiser. On aura très certainement dans le cadre des données Pac, les informations sur les exploitations qui ne jouent pas le jeu.

L’arrêté contrôle et sanctions est très clair. Il prévoit que la sanction peut aller jusqu’au démantèlement de l’installation ; par ailleurs les contrats garantissant un tarif de rachat fixe grâce aux dispositifs prévus par la Commission de régulation de l’énergie prévoient la possibilité d’exiger le remboursement de l’intégralité des sommes perçues en cas de manquement grave. Ce sont des mesures très dissuasives pour les éventuels fraudeurs.

Sur le partage de la valeur, avez-vous une idée du futur dispositif ?

Le groupe transpartisan de députés est en train de travailler sur ce sujet. Mon intuition, c’est qu’il faut aller sur une participation des agriculteurs au projet, plutôt que sur des logiques de loyer. Les logiques de loyer sont de nature à poser la question du prix du foncier et risquent de priver l’exploitant de la véritable création de valeur de l’installation. Le loyer est une forme de désintéressement. À l’opposé, si on a une logique de partage de l’investissement dans le projet, on peut ouvrir les bénéfices de l’installation à des agriculteurs qui ne portent pas les panneaux sur leur propre exploitation, mais qui peuvent contribuer à l’investissement. De cette manière, on peut avoir un partage de la valeur sur une logique de bassin de production.

Avez-vous une idée du nombre de projets en cours et en cours d’instruction au niveau des CDPenaf ?

À ce stade, non. D’abord parce qu’il y a un effet d’attente qui a été créé par le décret d’application. On nous dit que beaucoup de projets sont prêts ou vont arriver dans les services des préfectures. Ce que je souhaite, et je l’ai dit aux préfets, c’est qu’ils s’impliquent personnellement dans la gestion et l’instruction de ces projets et le passage en CDPenaf. Je leur ai également suggéré de repérer les très bons projets qui répondent vraiment à la philosophie de l’agrivoltaïsme, ainsi que les plus mauvais projets qui sont en dehors des clous. Cela créera une jurisprudence qui facilitera le travail au sein des CDPenaf et permettra aux préfets de moins s’impliquer dans les années qui viennent.

Comment faire le tri entre les opérateurs ?

Il faudra être prêt à accueillir des technologies nouvelles et de nouveaux opérateurs. Certains ne considéreront pas l’agriculture comme une priorité et il faudra les freiner. D’autres seront leaders sur les enjeux agricoles et il faudra les encourager. Des modèles de partage de valeur différents vont être proposés et là aussi, il faudra être capable de dire : voilà ce qui fonctionne, voilà ce qui ne fonctionne pas.

L’observatoire de l’agrivoltaïsme va permettre de donner des références et de repérer assez vite les projets qui n’ont aucune logique agronomique. La manière dont est construite la loi est très protectrice des intérêts des agriculteurs et des élus locaux puisque dès lors que la charte de la chambre d’agriculture a été validée par arrêté préfectoral, l’avis de la CDPenaf devient obligatoire.

« Concernant les partages de la valeur, il faut aller sur une participation des agriculteurs au projet, plutôt que sur des logiques de loyer. » (©  Cédric Faimali/GFA)

Comment évier le monopole des panneaux chinois ?

Favoriser le développement et le recours à une offre française et européenne est une des priorités du gouvernement. Pour cela nous développons l’offre, avec la loi Industrie verte qui prévoit un crédit d’impôt pour faciliter l’installation de giga-factories de fabrication de panneaux photovoltaïques en France. J’ai intégré dans la loi d’accélération des EnR des dispositifs qui, dans le cadre des marchés publics et des appels d’offres pour les installations d’énergies renouvelables, visent à prendre mieux en compte l’empreinte environnementale des équipements. Cela facilitera l’accès à des fabrications européennes, dont l’empreinte environnementale est meilleure. Et la loi européenne sur l’industrie verte doit nous aider à aller encore plus loin. Cela ne veut pas dire qu’on va fabriquer 100 % de panneaux français mais l’industrie française doit être capable de maîtriser l’ensemble des technologies pour avoir une part de marché signifiante en France.

Avez-vous prévu de développer la formation des agriculteurs sur l’agrivoltaïsme ?

On ne demande pas aux agriculteurs de devenir des experts en génie climatique. En revanche, c’est important que dans leur formation, ils aient une notion des solutions énergétiques, de leur empreinte carbone et de la manière dont ils peuvent eux-mêmes baisser leurs émissions de CO2 en utilisant ces technologies. Cela vaut pour l’agrivoltaïsme et pour la méthanisation.

L’Afnor a défini un label « Projet Agrivoltaïque ». Allez vous encourager son déploiement ?

Nous avons travaillé avec l’Afnor qui a effectivement débuté des travaux sur un label Agrivoltaïque. Cela nous a permis d’avoir des données sur un certain nombre d’installations, notamment sur les taux de couverture. Nous avons ainsi constaté que les deux tiers des projets de l’Afnor se situent entre 30 et 40 % de taux de couverture. Néanmoins, je ne souhaite pas qu’il y ait une obligation de labelliser les exploitations parce que le risque, c’est que ça soit trop coûteux pour les petites structures et que l’on referme le marché, ce qui reviendrait à créer une barrière à l’entrée pour certains agriculteurs. De notre point de vue, la définition de l’agrivoltaïsme est dans la loi.

Quel est le calendrier pour l’agrivoltaïsme ?

L’arrêté sur les contrôles et sanctions doit sortir dans les prochains jours. Concernant l’arrêté sur les technologies éprouvées, l’Ademe met sur pied un observatoire de l’agrivoltaïsme et travaille avec l’Inrae sur la méthodologie et le recensement des techniques. Cet arrêté prendra un petit peu plus de temps puisqu’il nous faut un peu de recul sur les technologies concernées. Je souhaiterais que ce soit fait à l’automne.

Maintenant la balle est dans le camp des chambres d’agriculture pour finaliser leurs chartes, recenser les zones dites « incultes » et propices au photovoltaïque au sol. Cela permettra aux porteurs de projets de se rapprocher des bonnes personnes. Le fait d’avoir une cartographie des zones incultes permet de faire émerger des projets. Les énergéticiens sont proactifs mais il est important qu’ils soient proactifs sur les bons terrains.