Retour en 1993. Antoine Chedru, installé dans le pays de Caux, constate sur son exploitation les dégâts de deux hivers consécutifs à la pluviométrie extrême : les départs de terres y sont importants, les limons battants associés aux cultures industrielles cultivées sur la ferme étant très sujets à l’érosion.
Après le passage d’un agronome, l’agriculteur entame une réflexion pour faire évoluer ses pratiques. En 2000, Goderville passe en zone vulnérable, faisant accélérer le mouvement. « Il fallait limiter l’azote et couvrir les sols en permanence », retrace-t-il.
Se former
En 1995, Antoine met fin au travail du sol profond et passe en TCS (technique culturale simplifiée). Il utilise alors un outil à dents et un combiné de semis, sur 10 à 15 cm. Les effets sur l’érosion sont immédiats, mais non suffisants. Il introduit ensuite des couverts en 1998, puis les diversifie.
« Au départ, il n’y avait que de la moutarde, puis j’ai ajouté d’autres crucifères, des légumineuses… Aujourd’hui je n’en achète presque pas, je les produis et les échange pour limiter le coût de la semence. […] Le couvert pour moi, c’est une culture, je le soigne comme telle ». La restitution des pailles et résidus au sol joue aussi son rôle pour rehausser le taux de matière organique. Celui-ci est passé de 1,3 à 2,6, voire 2,8 % en 20 ans.
En 2012, alors qu’il intègre l’association Sol en Caux (lire l'encadré), l’agriculteur passe au semis direct. « Le sol doit être riche en matière organique pour ce changement, qui ne peut se faire brusquement », estime-t-il. Au même moment, les protéagineux prennent place dans sa rotation qui s’est allongée.
« Je soigne mon couvert comme une culture »
Il ne s’interdit toutefois pas un travail du sol superficiel si nécessaire. C’est par exemple le cas pour réduire la pression des raygrass et vulpins. « On a changé la rotation, et mis un peu de travail du sol sur 3 à 4 cm sur une double culture de printemps, et là ça va mieux ». Du BRF (bois raméal fragmenté), du « carbone pur » comme il le décrit, est également apporté une fois par an depuis 2016.
Depuis qu’il s’est lancé, Antoine n’a eu cesse de se former, d’échanger, de chercher du conseil auprès d’experts ou d’autres agriculteurs. « Il y a aussi eu des erreurs et des remises en question », reconnaît-il. Aujourd’hui, il ne déplore aucun dégât d’érosion sur ses terres malgré certains hivers extrêmement pluvieux, et les rendements sont au rendez-vous.
Antoine s’intéresse désormais à la valorisation du carbone stocké dans ses sols avec le mouvement PADV (pour une agriculture du vivant) dont il est membre. « J’ai déjà une rémunération supplémentaire pour les oléagineux. J’aimerais la généraliser aux autres cultures mais c’est compliqué : les systèmes de certifications s’appuient sur des références trop récentes pour moi. Mes résultats sont comparés à une période où des changements avaient déjà été engagés, ce qui ne témoigne pas de ma progression », déplore-t-il.
Réduction d’intrants
D’environ 125 l/ha, la consommation de fuel est tombée à une moyenne de 55 l avec l’arrêt total du travail du sol. Le parc matériel a aussi été revu : les tracteurs de 160 ch ont remplacé ceux de 200 ch. Un strip-till et de nouveaux semoirs à disques et à dents adaptés au semis direct, qu’il a lui-même construits, sont également arrivés.
Concernant volet de la fertilisation, une pesée en début d’hiver permet d’estimer la restitution au sol en N-P-K et oligo-éléments, avec la méthode Merci. Sur une bonne année, les couverts peuvent atteindre les 6 t MS/ha. Grâce au broyage des pailles et aux couverts, "plus aucun apport en potasse et phosphore n’est nécessaire, ou alors de manière très ponctuelle", explique Antoine. Pour l’azote, des reliquats en entrée et sortie d’hiver sont également réalisés. Sur une année moyenne, 70 unités sont restituées par ha, dont une moitié utilisable par la plante.
Le semis direct fait en revanche le bonheur des limaces et des campagnols. L’agriculteur s’en protège en préventif , respectivement par du sulfate ferreux, et en ajoutant des piquets dans les parcelles pour attirer leurs prédateurs. Il a également fait évoluer la protection de ses plantes (voir l'infographique ci-après).
Une protection des plantes repensée
