Originaire du milieu viticole aubois, Elsa Brulez, trente-quatre ans, se destinait au commerce du champagne à l’export et a obtenu un master en commerce international des vins et spiritueux. Une expérience de deux ans au Chili pour développer les ventes du champagne familial lui montre les contraintes de l’exercice, notamment l’éloignement de la famille. Elle revient en France et gère un magasin de vins pendant deux ans. « J’ai beaucoup apprécié le contact avec la clientèle », souligne la jeune agricultrice.

Pendant cette période, Elsa rencontre son conjoint, agriculteur dans le sud de l’Aube. Elle décide de reprendre une exploitation agricole avec l’objectif, notamment, de produire des légumes bio. « J’ai passé un BPREA (1) spécialité maraîchage biologique. Avec mon conjoint, nous souhaitions également transformer du blé issu de nos champs. Ayant aussi le projet d’avoir deux enfants assez rapidement, j’ai décidé de privilégier cette seconde idée, plus compatible physiquement avec une grossesse. » Elsa constate qu’il n’existe pas d’ateliers de fabrication de pâtes fermières dans le Grand-Est. Après quelques visites chez des producteurs, elle décide de se concentrer sur la fabrication de pâtes sèches sans œuf, comme en Italie, avec du blé dur bio produit sur l’exploitation.

En 2015, elle s’installe seule à Bragelogne-Beauvoir, dans l’Aube, sur 52 hectares loués à la famille, avec deux inconnues : la culture du blé dur, production qui n’existe plus dans la région depuis des années, et la fabrication de pâtes. L’appui technique de son conjoint, prestataire pour les travaux en cultures, permet la réussite du projet. « Nous avons semé des variétés de blé dur d’hiver résistantes à - 15 °C, et des variétés de printemps, pour être sûrs d’avoir une production quelle que soit l’année », précise-t-elle. Autre difficulté : la conversion en bio, « incontournable, surtout avec un projet de transformation à la clé ».

Pour la transformation, Elsa investit 30 000 euros dans le local de production et de vente, aménagé dans une ancienne grange, 30 000 euros pour la machine à pâtes et le séchoir, et 10 000 euros pour la conditionneuse et la soudeuse. Elle opte pour la mouture du blé dur sur meule de pierre chez un prestataire, afin de préserver toutes les qualités nutritionnelles. Après une visite chez un producteur de pâtes et une démonstration avec le vendeur de la machine, elle lance ses premiers tests en octobre 2016. « Le coup de main a été assez facile à prendre », dit l’agricultrice. La fabrication et la vente démarrent en novembre 2016. Elsa réalise trois fournées de 50 kg par semaine. « Chacune d’elles prend quatre heures, explique-t-elle. Il faut ensuite compter de seize à vingt heures de séchage. L’ensachage est semi-automatique. »

Vente à la ferme

Après deux années de conversion, la récolte 2018 de la Ferme des Trois Vallons est certifiée bio. « Nous avons récolté 24 tonnes, qui permettront de fabriquer 20 tonnes de pâtes, poursuit Elsa. Une partie du blé dur sera conservée pour la saison 2019-2020, au cas où la récolte 2019 serait mauvaise. » Les autres productions – féverole, pois, tournesol, blé tendre – sont vendues via une coopérative régionale, qui dispose d’une filière bio. Pour les pâtes, l’agricultrice privilégie les circuits courts, notamment à la ferme : « Je souhaite connaître mes clients. La vente directe assure également la transparence sur le produit pour le consommateur et une juste rémunération du producteur. » La demande augmente et la phase de croisière n’est pas encore atteinte car, en 2017-2018, sa deuxième grossesse a freiné l’activité. « 2018-2019 sera la première année de pleine activité, indique Elsa. Le succès confirme les hypothèses de l’étude de marché. Je me verse déjà un salaire. L’objectif est d’atteindre 1 500 euros net par mois, et c’est tout à fait réalisable. »

En 2019, l’agricultrice projette d’acquérir un moulin à meule de pierre, pour moudre le blé dur selon ses besoins et, peut-être, produire des farines avec ses autres cultures. « Je souhaite aussi développer la transformation, en proposant d’autres formes de pâtes sèches, des pâtes fraîches, de nouveaux produits (farine, céréales en flocons ou encore graines), explique Elsa, qui ne manque pas d’idées. La culture des légumes reste également en projet, notamment pour les transformer en sauces et préparations pour accompagner les pâtes. »

(1) Brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole.