La profession tente de voir plus clair dans le décret et l’arrêté prévoyant la mise en place de zones non traitées à proximité des habitations. Plusieurs zones d’ombre jalonnent, en effet, les deux projets de texte, rendus publics le 9 septembre.
Mur de la maison ? Limite de propriété ? La définition même de la distance pose question. Selon l’interprétation juridique de la FNSEA, elle « risque d’être calculée à partir de la limite du terrain », indique Christian Durlin, vice-président de la commission environnement du syndicat. Les conditions à remplir pour bénéficier d’une réduction de distance ne sont pas encore claires non plus. Le projet d’arrêté scinde les produits phytosanitaires en trois catégories. Premièrement, les produits toxiques, les CMR (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques) de catégorie 1A et 1B et perturbateurs endocriniens. Ces derniers se verront imposer une distance de sécurité de 10 m « qui ne peut être réduite ». Selon la FNSEA, qui craint des situations d’impasses dans certaines productions, cela représente environ 15 % des volumes utilisés.
Deuxièmement, les produits de biocontrôle et ceux composés uniquement de substance de base ou à faible risque. Ceux-ci ne devraient être concernés par aucune ZNT. Cette catégorie inclurait notamment le cuivre et le soufre, utilisés en agriculture biologique « alors qu’ils ont un profil toxicologique plus défavorable que certains produits de synthèse », déplore Christian Durlin.
Troisièmement, tous les autres produits phytosanitaires. Ce sont eux qui sont concernés par des distances de 10 m (arboriculture, viticulture, petits fruits de plus de 50 cm de haut, houblon) ou de 5 m (grandes cultures, maraîchage). Celles-ci sont réductibles respectivement à 5 m et 3 m, lorsqu’un dispositif antidérive est utilisé. À ce stade, un seul est validé en cultures basses (les buses antidérives), et un en arboriculture (la ventilation tangentielle).
Des options à valider
D’autres dispositifs pourront être inscrits à cette liste par le ministère de l’Agriculture après expertise scientifique de l’Irstea (1) et validation des ministères chargés de la santé, de l’environnement et de l’Anses. « C’était une demande forte de notre part, qui a été entendue », indique Christian Durlin. Mais pas de précision à ce jour sur les réductions potentiellement obtenues : 0 m ? 3 m ? Pourront-elles s’appliquer à tous les produits ?
La mise en place de ces zones de non-traitement s’effectuera là où « il n’y a pas de charte de riverains », avait précisé le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume. Mais sous quelles modalités ? Pourront-elles mener dans certains cas à des ZNT de 0 m ? Les projets de textes ne donnent que peu de précisions.
Mince point positif pour la FNSEA : les quatre critères cumulatifs initialement prévus dans le décret (distance par rapport aux habitations, dispositifs antidérives, information aux populations et plages horaires) ont été revus. En revanche, « des modalités d’information préalables » aux riverains (sans précision de durée de délai de prévenance) devront toujours être intégrées. Christian Durlin est catégorique : « Nous n’accepterons pas d’être obligés de prévenir à chaque traitement. » Il se positionne en faveur d’une information plus globale, dont la forme sera discutée en fonction des enjeux locaux. Mais les délais de mise en application sont courts : les chartes doivent être formalisées dans une période de trois mois à compter du 1er janvier 2020.
Distances dans les AMM
Dans sept départements, des chartes ont déjà été mises en place (lire encadré p. 16). Pour être validées dans le cadre de ce décret, elles devront repasser par les préfectures. En effet, le projet de texte impose une marche à suivre précise, notamment la mise en consultation publique de la charte pendant un mois minimum.
Via un communiqué du 13 septembre, l’Anses (2) a par ailleurs apporté des précisions sur l’avis qu’elle a émis en juin. Il avait servi de base scientifique par le gouvernement pour la définition des textes. L’Agence y « recommande que des distances de sécurité minimales soient fixées » et ce « dans l’attente des modifications de l’ensemble des autorisations de mise sur le marché (AMM) en vigueur ». Elle précise que l’intégration de ce type de distances dans les AMM a déjà commencé. Un point qui fait écho avec le point de vue de Bernard Lannes, président de la Coordination rurale : « Tant que ce n’est pas écrit sur le produit, il n’y a pas à rajouter de ZNT. » Le projet suscite en effet l’opposition de l’ensemble des syndicats agricoles. Pour Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, « il faut engager une démarche de sortie des pesticides. Les chartes et ZNT ne sont pas des outils suffisants » car « ils ne font que reporter la responsabilité de cette sortie sur les paysans ». Pour la FNSEA, qui défend la mise en place de chartes adaptées localement, « les ZNT ne sont pas une fin en soi, l’important est de limiter l’exposition à la dérive ». Selon Christian Durlin, les débats d’aujourd’hui se font dans la douleur. La France a « raté le coche de recréer du lien avec les riverains via le contrat de solution ».
Pendant ce temps, la consultation publique, qui sera clôturée à la fin du mois de septembre, suit son cours. L’engouement autour du sujet est palpable : au 17 septembre, elle totalisait plus de 21 000 commentaires. Il faut dire que les appels à y participer sont nombreux, notamment du côté de ceux qui estiment que la mesure est insuffisante. Europe Écologie Les Verts (EELV) a proposé, pour sa part, un « outil d’aide à la saisie » pour « inonder la consultation ». Les utilisateurs n’ont qu’à piocher parmi une liste d’arguments proposés pour générer automatiquement un avis. Selon EELV, l’outil en recueil en moyenne 1 000 par jour.
Appels à la mobilisation
Le milieu syndical agricole a également lancé des appels à la mobilisation. L’Association générale des producteurs de blé (AGPB) invite par exemple les agriculteurs à intervenir « massivement ». Elle leur propose de se rapprocher « rapidement » des réseaux FNSEA, JA et associations spécialisées pour recevoir de l’aide à la rédaction de commentaires, « ultimes recours à la modification de ces textes ».
Les appels ne sont pas uniquement virtuels. Une vingtaine de départements (Grand Bassin parisien, Haute-Garonne, Tarn-et-Garonne, Drôme) ont prévenu le 16 septembre vouloir mettre « le feu aux portes des villes » dès le 23 septembre. Pour la FDSEA et JA île-de-France, « tout dialogue est devenu impossible », et le projet de ZNT est « l’ultime provocation » dans un contexte « d’agribashing permanent ». Des manifestations seraient en préparation dans d’autres régions… La version finale des textes entendra-t-elle les revendications agricoles ? La rédaction
(1) Institut national de recherche en scienceset technologies pour l’environnement et l’agriculture.
(2) Agence nationale de sécurité sanitairede l’alimentation, de l’environnement et du travail.