En 2018 vous disiez « La loi Egalim, c’est de la poudre aux yeux ». Qu’en pensez-vous aujourd’hui ?

C’est vrai ! Soit les pouvoirs publics mettent en place des choses concrètes et fortes, soit je peux déjà vous prédire que le monde agricole va mettre le feu dans les semaines qui viennent pour manifester sa colère.

Il a eu beaucoup d’espoir autour de la loi Egalim. Et deux ans après, il n’y a pas de résultat. Il faut taper beaucoup plus fort dans cette loi, même si je trouve que c’est un bel élan, une belle initiative de la part du gouvernement pour soutenir le monde agricole.

Que peut-on faire pour que ça change ?

Aujourd’hui, on a un discours qui est totalement contradictoire à mon sens. On ne peut pas d’un côté avoir la loi LME (N.D.L.R. : loi de modernisation de l’économie de 2008) qui impose aux distributeurs de négocier à l’envers, en partant d’un tarif général — dont personne en 14 ans n’a su me dire d’où il sort, même pas les marques qui me le donnent – pour ensuite négocier des services pour faire baisser ce tarif et arriver au prix d’achat, et d’un autre côté dire dans une autre loi (N.D.L.R. : la loi Alimentation dite loi Egalim de 2018) qu’il faut prendre en compte le coût de production de l’éleveur. On marche sur la tête.

On est à des antipodes de la prise en compte du coût de production de l’éleveur. Il faut mettre en place une loi unique qui impose de négocier à partir du coût de production de l’éleveur. La loi Egalim le dit, mais cela reste juste des indicateurs, personne ne dit qu’il faut les respecter.

Et en quoi les négociations sur les marques de distributeurs sont-elles différentes ?

Sur mes 90 % de marques de distributeur (MDD), je négocie un prix d’achat pour aboutir à un contrat. Ça veut dire que je construis un prix d’achat avec l’industriel. Même s’il n’y a pas encore la transparence totale de toutes les parties, vous prenez en compte le coût de production, le coût de transformation, la logistique, le packaging etc. Vous construisez le prix d’achat ce qui n’est absolument pas le cas avec une grande marque.

Si on continue à dire “il faudrait”… sans mettre aucune contrainte et sans aucune sanction, ça ne fonctionne pas.

Vous plaidez, depuis le début, pour la mise en place de contrats tripartites. Il faudrait les rendre obligatoires ?

Exactement, je ne vois que cette solution-là. Je l’ai dit il y a deux ans, je le redis aujourd’hui. Si on continue à dire “il faudrait”… sans mettre aucune contrainte et sans aucune sanction, ça ne fonctionne pas.

Le contrat tripartite, c’est un contrat de confiance, et surtout de la transparence, parce que les trois parties doivent être autour de la table. L’une ne peut pas discuter avec l’autre sans la troisième. Il faut de la transparence à tous les niveaux.

Alors pourquoi ne signez-vous pas davantage de contrats tripartites ? Ils représentent seulement 20 % de vos produits.

Parce qu’il n’y a aucune obligation d’en faire, donc certains fournisseurs disent ok pour un contrat tripartite mais pas sur un gros volume. Pourquoi ? Parce qu’un contrat tripartite demande une totale confiance, et surtout une totale transparence. Et donc cela veut peut-être dire que certains ne veulent pas être totalement transparents. Je pense que la pression que met Julien Denormandie en ce moment ne suffira pas. Je suis cent pour cent d’accord pour qu’on légifère.

Vous estimez que tous les distributeurs ont la capacité d’absorber les revalorisations de prix que demandent les producteurs ?

Mais bien évidemment. Il faut, une fois de plus, de la transparence à tous les niveaux. On parle de quelques centimes. Les éleveurs laitiers ne veulent pas passer de 32 ct le litre à 3 €. Ils veulent passer de 32 à 37 centimes le litre. À 32 centimes, ils n’y arrivent pas. La viande bovine, aujourd’hui ils sont payés en dessous de 4 € du kilo, il y a un gros problème.

Si on veut arriver à l’indicateur du Cniel, il faut créer de la valeur. Le moyen de créer de la valeur, c’est d’augmenter le prix de vente.

Avez-vous observé une évolution de la demande sur les produits équitables ?

Ça bouge de manière lente. Comme on ne nous permet pas de développer les tripartites, Nous avons décidé de proposer dans chacun de nos 1550 points de vente un produit d’élevage équitable. Pour le lait par exemple, près de 400 magasins ont du lait en tripartite et les autres ont un lait d’une marque équitable : C’est qui le patron ? FaireFrance, Mon lait, Cantaveylot

Mais, il y a aussi une réalité économique quand vous avez un lait équitable à 99 centimes le litre et un autre lait à 72 centimes, le client regarde les 25 centimes d’écart. Mais pourquoi le vendre à 72 ct le litre alors ? Parce que tous les concurrents sans exception vendent 72 centimes.

Si l’on veut arriver à l’indicateur du Cniel, il faut créer de la valeur. Le moyen de créer de la valeur, c’est d’augmenter le prix de vente. En 2019, Lidl a augmenté le prix du litre de lait demi-écrémé de 72 à 74 centimes pendant 6 mois. Durant ces six mois on n’a pas vendu un litre de moins. J’étais le plus cher du marché et comme je ne peux pas être le plus cher du marché, je me suis remis à 72 centimes le litre.

Mais je peux annoncer qu’on va réitérer l’opération. Lidl va passer à 74 centimes début mars et on va voir quels distributeurs suivent. Qui a vraiment la volonté de faire bouger les choses ! À 74 centimes on pourra atteindre l’indicateur Cniel. Aujourd’hui je ne peux pas.

Propos recueillis par Marie Salset