Pourquoi avoir postulé à la présidence de la FNSEA ?
Je souffre beaucoup de l’image extrêmement dégradée de l’agriculture dans la société, et de celle de la FNSEA. C’est quelque chose qui m’affecte beaucoup. Et c’est aussi ce qui fait mal aux agriculteurs : le syndicat a été décrié, rabroué, traîné dans la boue. Il s’est dit tout et n’importe quoi sur son président. Nous voulons redorer le blason de la maison et de Xavier (Beulin, NDLR) – nous nous y sommes engagés.
La FNSEA, ce sont 13 fédérations régionales, 94 fédérations départementales et 31 associations spécialisées. Toutes les productions y sont présentes. La diversité est énorme. Alors quand certains journalistes me disent : « Quand même, vous, la FNSEA vous arrivez à faire la synthèse entre des gros agriculteurs du Bassin parisien et les petits éleveurs du Sud… » Je leur réponds que moi, je connais aussi des gros éleveurs et des petits céréaliers. Je n’aime pas les caricatures !
Comment y remédier ?
Je vais m’attacher à montrer vraiment ce qu’est l’agriculture française. Ça veut dire aussi qu’il faut être capable de se montrer tel que l’on est. Pas d’esbroufe. Il faut être transparent. Quand ça va, bien il faut le dire ; quand ça va mal, il faut le dire aussi pour que l’on nous croie… Je veux aussi dire qu’on est au travail sur des thématiques sur lesquelles nous sommes attendus : le respect de l’environnement, la qualité de l’eau, les paysages, la biodiversité… Tous ces sujets sur lesquels on a un peu manqué de discours jusque-là.
Vous ne pouvez pas non plus nier les dissensions. Cette grande maison a-t-elle encore du sens ?
L’unité, c’est fragile ; où que ce soit : dans une famille, dans un couple, dans une équipe de handball, dans un groupe, dans une association… Pour que ça marche, il faut beaucoup de respect entre les personnes, de l’écoute ; il faut aussi de la rigueur et de la discipline.
Les associations spécialisées (AS) vivent leur vie, mais quand elles ont besoin de la FNSEA, elles savent où nous trouver, elles nous sollicitent. Sur beaucoup de sujets, on a des approches transversales. La difficulté est de trouver le bon point d’équilibre entre la liberté d’agir de chacun et une forme de fidélité avec la ligne que nous portons.
Il n’y a pas que la Pac dans la vie.
La principale pierre d’achoppement, c’est la Pac. Comment mieux fédérer autour du sujet ?
Il n’y a pas que la Pac dans la vie. C’est-à-dire que régulièrement, quand le sujet de la Pac revient, il présente des frictions. Mais en dehors de ça, nos sorts sont identiques : sur la volatilité des prix, on est cousin aujourd’hui. Idem pour les sujets fiscaux, de gestion des risques… Les problématiques environnementales concernent tout le monde. Moi, je cherche plutôt les points de convergence que les points de divergence. C’est mon tempérament. C’est comme ça !
Parfois il faudra bien s’imposer et trancher encore ?
Le premier président fondateur de la FNSEA était déjà du Maine-et-Loire : Eugène Forget. Il a fait le serment de l’unité paysanne, pas de l’unité syndicale. Il est allé au-delà. Mais je ne suis pas naïve, je sais que ce sera compliqué, que des rapports de force existent. Je sais bien qu’on aura des débats qui seront compliqués dans certaines AS. Mais pour autant, depuis 70 ans, il y en a eu des moments de tension, mais à chaque fois, il y a eu un sursaut disant : « Ça sera pire si on se divise. »
À l’époque d’Eugène Forget, c’était peut-être plus facile de faire consensus ?
Il n’y avait qu’un syndicat, et il y avait beaucoup d’agriculteurs. Aujourd’hui, il y a beaucoup de syndicats et peu d’agriculteurs. Donc, il est plus que nécessaire de faire l’unité paysanne. Il faut être capable de dire, pour l’intérêt supérieur des agriculteurs, que nous, nous pensons que cette orientation est meilleure que telle autre. Et nous croyons aussi que nous pouvons être un front uni sur tel ou tel sujet. Au Salon de l’agriculture, mon premier communiqué en tant que présidente, a été fait avec la Confédération paysanne, la Coordination rurale, et Jeunes Agriculteurs, pour dire ensemble « stop à la stigmatisation des anti-viande ».
Une fois à la tête du syndicat, quel sera votre premier combat ?
Je veux redonner du poids aux producteurs dans la chaîne alimentaire, c’est-à-dire cesser d’être le maillon faible et que les producteurs soient sous-considérés. Agir, retrouver un dialogue constructif, c’est aussi ce que voulait faire Xavier. La filière oléoprotéagineuse qui a réussi et que tout le monde vante a fait des efforts pour en arriver là : il y a eu parfois des producteurs à qui l’on a dit : « Tu vas livrer ton colza diester ; certes, c’est moins cher que le colza alimentaire, mais c’est bon pour la filière à moyen terme. »
Dans toutes les autres productions, on est faible parce qu’on est moins organisé, moins structuré. 400 000 exploitations, 10 000 industries agroalimentaires, 4 centrales d’achat. Il faut se rapprocher encore plus, et pour ça, revoir le droit de la concurrence.
Les nouveaux profils d’agriculteurs, ceux qui basculent chez nous et qui ont 35-40 ans, sont très différents dans leur façon d’exercer leur responsabilités. Ils sont pragmatiques, ils n’aiment ne pas perdre de temps. Le baratinage, ça ne leur plaît pas, ils ont le souci de l’efficacité. Et un certain nombre d’entre eux disent : « Moi, je viens chercher la défense professionnelle, de l’information, mais je viens aussi chercher un conseil juridique, une réassurance, un service. » Nous devons y répondre.
J’étais très active et un peu garçon manqué.
À quel moment avez-vous décidé de devenir agricultrice ?
Je suis tombée dans la marmite quand j’étais petite. Je suis fille d’agriculteur et d’agricultrice. Quand nous sommes nés, mes deux sœurs et mon frère, l’exploitation étant petite, papa a décidé d’aller travailler à l’extérieur en tant qu’inséminateur. Maman, qui était salariée au Crédit agricole, a préféré quitter son boulot, pour venir piloter l’exploitation. Son idée était de nous élever en même temps.
C’est à 8 ans que j’ai décidé de devenir agricultrice. Plus précisément, en faisant la traite de Gitane, une vache magnifique que j’aimais beaucoup. Je me suis tournée vers ma mère et lui ai dit : « Maman, moi, plus tard, je veux faire agricultrice. » J’étais très active et un peu garçon manqué. C’est quand je suis arrivée en seconde avec un an d’avance, que j’ai choisi la voie agricole, en vue d’un bac D’. C’était un milieu très masculin.
Ce qui ne vous pas effrayé ?
J’étais très à l’aise, dans les milieux masculins et déjà au sein des collectifs. À l’école, je jouais au foot avec les garçons, j’étais gardien de but. Et le weekend, je faisais du handball, dans les buts aussi. J’étais le capitaine de mon équipe. J’ai joué pendant sept ans au niveau de la promotion d’honneur régionale. Et, avec mes copines, on a été championne d’Auvergne trois années de suite. J’adorais ça.
Avez-vous poursuivi vos études après votre bac ?
Oui, j’ai fait un BTS, que j’ai décroché le 25 juin, le jour de mes 19 ans. Puis je me suis installée, le 1er juillet 1980 avec 20 vaches laitières, en louant 24 hectares à deux agriculteurs qui prenaient leur retraite. Mes parents étant toujours en activité, je me suis installée individuellement, mais on travaillait ensemble.
A mes débuts, on m’a dit : « Une jeune femme qui s’installe à 19 ans n’est pas un élément stable et sécurisant. »
À 19 ans, vos amis comprenaient votre envie de devenir agricultrice ?
Pas vraiment. Mes copains d’école me disaient : « Tu es nulle, tu devrais faire autre chose, travailler ailleurs. Tu vas être débordée de travail et tu vas gâcher ta jeunesse. » On se moquait de moi. Le directeur du Crédit agricole de Massiac, le canton où nous habitions dans le Cantal, m’a dit : « Une jeune femme qui s’installe à 19 ans n’est pas un élément stable et sécurisant. »
Les agriculteurs du coin me regardaient, eux, comme quelqu’un de bizarre qui revenait étrangement très vite, un peu trop vite, s’installer à 19 ans. Une fille, en plus ! Ça n’était pas commun. Ils guettaient mes manœuvres quand je faisais le foin, dans des parcelles exiguës, ils allaient voir si mes piquets étaient enfoncés bien droit, et mes barbelés bien tendus quand j’avais fini mes clôtures le soir. J’étais très attendue au tournant. Mais comme j’étais passionnée, j’ai fait face.
Quand vous est venu le déclic du syndicalisme ?
Je l’ai eu en BTS. Durant la 2e année, mon école a eu la bonne idée de faire venir le vice-président du CNJA, un agriculteur de la Haute-Loire. Il m’avait impressionné. Il avait fait un excellent exposé de l’agriculture, devant 100 jeunes. Il maîtrisait son sujet, il avait une bonne connaissance des enjeux agricoles et parlait avec fluidité… Ce jour-là, j’ai eu une très bonne image du CNJA.
Vos parents adhéraient eux-mêmes à un syndicat ?
Mes parents étaient tous les deux adhérents à la Jac. Dans la famille, on a toujours eu le gène des responsabilités. Mes parents étaient tous les deux ouverts, intelligents et cultivés, ils travaillaient énormément. J’ai aussi beaucoup travaillé avec ma grand-mère paternelle qui était phénoménale parce qu’elle lisait le petit Larousse en gardant ses vaches.
Elle ne restait jamais sans rien faire. Elle avait le gène du travail, dont j’ai moi-même hérité très tôt. Mes parents me confiaient beaucoup de responsabilités. Je m’occupais des veaux tous les étés. J’avais dix ans quand ma mère est allée accoucher de mon jeune frère. Et c’est moi qui me suis occupée des porcs, toute seule ! J’en étais très fière.
Mais de là à adhérer puis briguer des mandats… Pourquoi vous êtes-vous engagée au sein d’un syndicat ?
Quand je me suis installée à 19 ans, j’ai reçu une invitation pour une réunion à Massiac. J’y suis allée. Je me souviens que j’avais un pied dans le plâtre, faisant suite au match de handball du weekend… Et il n’y avait personne à la réunion : on était cinq, dont quatre qui avaient 34 ans et qui craignaient que le syndicat s’arrête avec leur départ.
Mais c’était sans compter le président du CDJA qui est venu à la réunion. Il a traversé le Cantal pour venir nous motiver. Ensemble, nous avons pris notre bâton de pèlerin, le canton comptait onze communes, nous nous sommes rendus dans toutes. Progressivement, de plus en plus de monde a assisté à nos réunions. Alors que nous étions cinq en octobre, nous sommes passés à 55 en février. Lors de l’assemblée générale constitutive, ils m’ont demandé de prendre la présidence du syndicat cantonal. J’ai accepté.
J’ai dû me former pour prendre la parole en public
Vous vous sentiez prête ?
Quelques ajustements ont été nécessaires. À l’issue de mon élection, je suis partie faire une formation sur le thème « organiser une réunion et prendre la parole en public ». J’étais d’un naturel timide quand j’étais jeune. J’étais plutôt réservée, je parlais peu. J’avais besoin de cette formation.
N’était-ce pas aussi pour mieux contrôler la situation ?
Non, il ne s’agit pas de vouloir contrôler… En revanche, il est certain que je n’aime pas l’à-peu-près. Quand je ne sais pas, je n’aime pas ça. Quand je dois présenter un sujet que je ne connais pas, je ne suis pas à l’aise. Donc je lis beaucoup, j’assimile de toutes les façons, je me le fais expliquer. Je suis une anxieuse de tempérament… Je suis perfectionniste, exigeante et anxieuse. Mais tout ça, c’est parce que j’aime me sentir utile.
Vous avez accédé à la présidence du CNJA en 1992. Cette expérience vous permet-elle de mieux appréhender votre avenir à la FNSEA ?
Sur une échelle de dix en termes de stress, on est à 4 pour le CNJA, et 10 pour la FNSEA. Ça n’a rien à voir. La FNSEA, c’est quand même 31 associations spécialisées, avec des présidents qui sont des costauds, des solides… Il y a des enjeux très importants parce qu’il y a énormément de structures satellites, d’endroits où la FNSEA peut emporter la décision et donner une orientation. Donc, je mesure que c’est une responsabilité lourde.
Les médias sont-ils une inquiétude pour vous ?
La pression est une inquiétude, les réseaux sociaux aussi. Ils sont d’une violence inouïe. Les médias oui et non… Je suis d’un naturel confiant, je fais confiance aux gens. Alors après, par contre, quand je me fais avoir, j’ai du mal à refaire confiance. Mais je sais aussi que tout va être épluché – et j’ai même des gens qui m’y préparent. Mais je n’adhère à aucun parti politique, je n’ai qu’un mari, je suis fidèle depuis trente ans, j’ai trois enfants merveilleux, mon exploitation fonctionne et j’achète mes vêtements !