« L’irrigation a toujours été une question essentielle pour que l’Ukraine réalise son potentiel agricole. Le gouvernement en fait une priorité. » Ces propos du 2 octobre 2020 du ministre de l’Économie chargé de l’agriculture pourraient s’apparenter aux déclarations creuses de ses prédécesseurs.
Mais le contexte a changé. Entre septembre 2019 et mai 2020, le taux de précipitation n’a atteint que 70 % des niveaux habituels, ce qui se traduit par un manque de 35 milliards de mètres cubes d’eau et des récoltes moindres par rapport à 2019.
600 000 hectares couverts
Or, seuls 600 000 hectares de terres arables bénéficient actuellement d’un système d’irrigation fonctionnel, contre environ 2,6 millions à l’époque soviétique. Ces surfaces étaient alors couvertes par des infrastructures de drainage, aujourd’hui quasiment abandonnées.
En cause : un manque cruel de financement et d’entretien après la chute de l’URSS, ou plus simplement des « vols de tuyaux », comme en atteste Anatoly Polonsky, maire du village de Bourhounka, dans le sud de l’Ukraine.
Des obstacles juridiques
S’y sont ajoutés des problèmes de connexion des stations de pompage aux réseaux électriques et des obstacles juridiques aux investissements privés, l’État monopolisant l’utilisation des ressources hydriques.
Si la qualité globale du système d’irrigation a diminué, les besoins ont augmenté. « Plus aucune région ne peut s’en passer, hormis les montagnes des Carpates », constate Vasyl Babitsky, expert pour le groupe Astra, fournisseur d’équipements agricoles.
1,3 milliard d’euros de pertes
La Berd (1) estime qu’après trente ans de négligence, l’absence d’un système d’irrigation pour compenser les effets du changement climatique constitue une perte de 1,3 milliard d’euros par an.
« Des initiatives locales permettent d’augmenter la superficie des zones irriguées d’environ 20 000 hectares par an, explique la directrice de l’Institut de l’agriculture irriguée, Raisa Vojehova. Mais ce n’est pas assez. »
Hausses imprévisibles du prix prix de l’eau
L’ouverture du marché foncier est prévue en 2021. En attendant, les investisseurs se disent découragés par des hausses imprévisibles du prix de l’eau et par des conditions de financement difficiles. Il en va ainsi pour l’arrosage goutte à goutte. Efficace et économe, il couvre 75 000 hectares.
Mais les équipements techniques ne sont accessibles qu’aux grands agro-holdings ou aux exploitants bénéficiant d’aides extérieures. A Bourhounka, près de 500 hectares sont désormais irrigués grâce au soutien de l’agence USAID (2). Selon l’analyste Vasyl Hovhera, de la Berd, l’irrigation serait nécessaire sur environ 2 millions d’hectares et coûterait quelque 3 milliards d’euros.
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Une action d’envergure de l’État est requise. Le gouvernement prévoit de modifier les règles de gestion des ressources en eau, de développer des partenariats public-privé et de créer des mécanismes de compensation d’ici à 2030. Si les pouvoirs publics semblent se soucier du problème, la stratégie ne détaille pas les conditions de son financement.
(1) Banque européenne pour la reconstruction et le développement.
(2) Agence américaine pour le développement international.