Les plaidoiries, qui ont duré près de trois heures, avaient pour but d’éclairer les quinze juges de la grande chambre de la CJUE et l’avocat général, pour savoir si ces organismes relèvent ou non de la directive européenne 2011/18 relative à la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement.

De nombreuses observations écrites ont été envoyées avant l’audience à la CJUE, de la part de plusieurs États membres (dont la France, une des deux parties prenantes) et des trois institutions européennes que sont la Commission, le Conseil et le Parlement.

Recours au Conseil d’État

Cette audience fait suite au recours de neuf organisations ou syndicats (1) en mars 2015 auprès du Conseil d’État, lequel a renvoyé le dossier, complexe, en octobre 2016 devant la CJUE, en lui posant quatre questions préjudicielles.

Intervenant le premier, l’avocat des organisations anti-OGM, M. Tumerelle, à l’origine de la procédure, a précisé que même si la directive européenne 2001/18 prévoit une exemption pour les organismes issus de mutagenèse, cette exemption ne peut concerner les nouvelles techniques apparues ces dernières années car la mutagenèse est appliquée in vitro et sur des cellules isolées plutôt que des plantes entières. « Sous couvert de l’exception de mutagenèse prévue à la directive européenne, de nombreux industriels développent aujourd’hui de nouvelles variétés qu’ils commercialisent sans les soumettre [aux] évaluations préalables, ce en violation du principe de précaution », peut-on voir figurer dans les observations des représentants des associations requérantes.

Apprécier le niveau de risque

L’État français rétorque dans ses observations que « les organismes obtenus par mutagenèse au sens de l’annexe l B de la directive 200l/18 […] n’entrent pas dans le champ d’application de cette directive ». Selon lui, « cette exclusion couvre, d’une part, les organismes obtenus par les méthodes conventionnelles de mutagenèse aléatoire existant antérieurement à l’adoption de cette directive et, d’autre part, les organismes obtenus par les techniques nouvelles de mutagenèse dirigée […] qui

présentent un niveau de risque comparable à celui des organismes issus de techniques traditionnelles ». Autrement dit, « il faut être capable d’apprécier le niveau de sécurité et les effets à long terme », a indiqué devant les juges l’avocat du gouvernement français, M. Colas.

Après les interventions de la Grèce, de la Suède et du Royaume-Uni, ce fut au tour des avocats des trois institutions européennes de venir s’exprimer à la barre, fait assez rare dans ce type d’audience. Leur avis diverge sur la nécessité de légiférer ou non à nouveau.

Légiférer ou non

Le Parlement considère ainsi que « si des éléments nouveaux sont de nature à se poser des questions, il appartient aux institutions d’évaluer les nouveaux risques et de légiférer si besoin. » Mais de leur côté, le Conseil et la Commission considèrent que la réglementation en vigueur est claire, à savoir que la mutagenèse est exclue, et qu’il n’y a pas lieu de légiférer par la voie judiciaire, arguant qu’il n’y a pas de véritable perturbation du marché intérieur.

« Le principe de précaution est à prendre en compte par le législateur, mais ce qui nous sépare de la Confédération paysanne (un des 9 requérants, NDLR), c’est que ce principe de précaution ne confère pas une compétence et le pouvoir de légiférer dans ce cas », a insisté M. Moore, juriste au Conseil européen.

Dans ses observations transmises à la CJUE, la Commission estime qu’un « examen au cas par cas de ces techniques tenant compte des procédés utilisés pour modifier le matériel génétique de l’organisme […] doit être effectué pour définir si les organismes obtenus par ces techniques peuvent ou pas être exemptés. Or, un tel examen dépasse le cadre du présent litige dans la mesure où la disposition nationale attaquée devant le Conseil d’État ne distingue pas les variations existantes entre les différentes nouvelles techniques de mutagenèse. » Et Mme Valéro, avocate pour la Commission européenne, de confirmer que « dans la législation française, tous les organismes issus de mutagenèse pourraient être exemptés de la directive 2001/18. On peut donc comprendre le trouble du Conseil d’État ! ».

Jurisprudence dans les 28 États membres

L’avocat général doit rendre ses conclusions le 20 décembre prochain. Un avis qui sera suivi ou non par les juges de la CJUE dont le verdict est attendu à la fin du premier trimestre de 2018. Le dossier sera à nouveau réexaminé par le Conseil d’État. L’arrêt de la CJUE fait jurisprudence et s’imposera alors à tous les États (même si l’affaire, comme ici, n’a concerné qu’un pays) et à leurs juridictions.

I.E.

(1) Les Amis de la terre, Collectif vigilance OGM de la Charente, Comité de soutien aux faucheurs volontaires du Maine-et-Loire, Confédération paysanne, Nature & Progrès, réseau Semences paysannes, OGM Dangers, Vigilance OG2M, Vigilance OGM 33.