À quelques kilomètres de la capitale Vilnius, Valentinas Gémys est un pionnier qui possède une capacité d’anticipation hors normes. En 1992, à la privatisation des terres après l’ère soviétique, cet ancien agronome d’un kolkhoze se voit restituer 13 ha des terres familiales. « Poursuivre l’agriculture ne faisait aucun doute pour moi, mais autrement. » Il se lance, dès cette époque, dans la bio.

Des terres de 4 000 à 6 000 €/ha

« Mes champs n’ont pas vu un pesticide depuis 27 ans », affirme-t-il. Il pratique également le non-labour dans les terres noires de la région. « À l’époque, nous étions 5 fermes dans le pays. Aujourd’hui, on compte 260 000 ha de céréales bios, notamment grâce aux subventions européennes. » En 1998, Valentinas réussit à acheter 900 ha à des investisseurs russes qui sont en faillite. Les terres sont reprises à 30 €/ha, elles en valent aujourd’hui entre 4 000 et 6 000 €. En 2019, il cultive, avec son fils, 1 900 ha, dont 1 000 ha en propriété. La ferme emploie 9 personnes. Elle est certifiée bio depuis 2004.

Neuf céréales constituent son assolement, principalement du seigle et de l’épeautre. 200 ha de cumin sous contrat étranger, ainsi que 600 ha de ray-grass semences complètent l’activité. Il garde en permanence, en rotation tournante, 400 ha en jachères pour mieux contrôler les adventices, précise-t-il. « Les rendements tournent de 4 à 5 t/ha pour le seigle. Je contrôle la semence, les méthodes culturales et le stockage. » Un silo neuf d’une capacité de 2 000 tonnes avec séchage a été construit l’an passé. « Tout est vendu sous contrat en certificat bio à l’étranger, en Allemagne, Finlande et Suède. Les acheteurs s’occupent de la logistique. » En 27 ans, Valentinas a connu un seul épisode de grêle, qui lui a fait perdre 80 % de sa production.

2 % du marché intérieur

Inversement, à 100 km de là, la famille Zelbaite, qui s’était spécialisée dans le bio, a totalement fait marche arrière. « Nous avons essayé pendant trois ans de poursuivre la démarche, mais cela nous entraînait vers un désastre financier. Nous n’avions que très peu de marchés à l’export », précise Fiodor, le jeune gérant. Pourtant, cette entreprise, qui transforme 25 % de sa production en farine de façon artisanale, aurait dû avoir toutes ses chances en vente directe. « Aujourd’hui, c’est impossible de valoriser à un prix rentable notre production de blé ou de seigle bio sur le marché intérieur. Le consommateur lituanien ne comprend pas pourquoi il doit payer trois fois plus cher. J’ai réussi à me faire une clientèle fidèle, mais sur la notion d’une production de proximité. »

L’agroéconomiste Nerigius Linkenskis confirme : « Le marché du bio stagne dans le pays à moins de 2 %, alors que nous avons une croissance exponentielle des surfaces. Les citoyens veulent une nourriture saine, mais ne sont pas prêts à payer. Nous avons la chance d’avoir un potentiel important à l’export, chez nos voisins scandinaves et allemands. Notre agriculture est neuve et ouverte à ce type de production. Les agriculteurs savent qu’ils ne pourront pas lutter contre la concurrence des céréales russes en conventionnel. »

Christophe Dequidt