C’est avec le sourire que Michèle Kirry, la préfète de l’Ille-et-Vilaine est arrivée sur l’exploitation de Loïc Guines, le président de la chambre d’agriculture et de son frère Jean-Philippe, un élevage de 110 vaches sur 130 ha en bio. Et pourtant le sujet abordé est grave, il s’agit de l’agribashing, le dénigrement systématique de l’activité agricole et agroalimentaire.

Menace émergente et diffuse

Depuis le début de l’année, la préfecture a recensé dans le département, une quinzaine d’infractions à l’encontre d’exploitants agricoles dont cinq cas jugés sérieux (incendie, intrusion…). « Ce sont des actes inadmissibles dans une démocratie. La fin ne justifie pas les moyens. Il n’y a pas de faits anodins », a insisté la préfète.

« Nous assistons à une multiplication des actes d’incivilités, d’intimidation, voire de violences qui prennent une tournure préoccupante et créent une charge mentale importante chez les agriculteurs et leur famille », a-t-elle pu constater lors d’un tour de Bretagne de l’agriculture l’an passé.

Signaler les faits qui passent sous les radars

Le 2 juillet, elle a installé officiellement l’observatoire départemental de l’agribashing dans l’Ille-et-Vilaine. Cet observatoire regroupe la chambre départementale d’agriculture, les syndicats agricoles (FDSEA, Jeunes Agriculteurs, Confédération paysanne, Coordination rurale), les représentants du secteur agroalimentaire (ABEA, UGPVB) et les services de l’État (DDTM, DDCSPP, police et gendarmerie).

« Son objectif est de recenser toutes les incivilités, d’objectiver le phénomène et de mettre en place les mesures adaptées de façon coordonnée, a résumé Michèle Kirry. Souvent ces faits sont passés sous silence, même un tag, il faut le signaler, indique-t-elle intraitable. L’observatoire ne sera que ce qu’on en fera et les chambres ont leur rôle à jouer pour convaincre les agriculteurs de déclarer même si l’acte ne relève pas du pénal. »

Un formulaire en ligne

L’observatoire existe dans les autres départements bretons et ailleurs en France mais la particularité de l’Ille-et-Vilaine est d’avoir formalisé les choses. Concrètement, les données seront collectées par l’Administration de façon anonyme via un formulaire en ligne rempli par l’intermédiaire des organisations agricoles et les entreprises agroalimentaires.

Les faits qui relèveraient du pénal et n’auraient pas été signalés aux forces de l’ordre seront transmis à la cellule nationale Demeter, créée au sein de la direction générale de la gendarmerie. Tous les syndicats présents mais pas tous sur la même longueur d’onde.

La FDSEA de l’Ille-et-Vilaine, via son président Cédric Henry, s’est réjouie de cette mise en place, rappelant « que la peur est entrée chez les agriculteurs avec un sentiment d’impunité ». La Coordination rurale partage l’idée de faire constater les faits et voudrait même aller plus loin. « Pour nous, c’est le zéro tolérance », lance Joseph Martin, de la Coordination rurale Ille-et-Vilaine. On attend de l’État qu’il nous défende et pas seulement contre les incivilités. »

La Confédération paysanne a tenu à être présente pour ne pas faire « le jeu de la chaise vide ». « Nous condamnons les actes et ces conséquences graves pour les agriculteurs mais cet outil ne doit pas remettre en cause notre rôle de lanceurs d’alerte », affirme Sébastien Vétil, de la Confédération paysanne, remettant en cause le terme d’agribashing, tout en critiquant la mise en place de la cellule Demeter « sous la coupe de la FNSEA », selon lui.

Isabelle Lejas