« Plus de 5 millions d’hectares soit près de 20 % de la surface agricole française vont changer de mains d’ici à 2030 », a estimé Terre de liens. L’organisation dévoilait ce 1er mars 2022 son premier rapport — qui a pour vocation d’être publié tous les ans — sur l’état des terres agricoles au Salon international de l’agriculture. Les chiffres de ce document reposent essentiellement sur des données publiques (dont le dernier recensement agricole).
L’organisation qui agit pour l’accès au foncier pour « de nouvelles installations paysannes » considère ce transfert massif de terres d’ici à 2030 comme une « opportunité unique de réorienter notre modèle agricole », via notamment une grande loi foncière qu’elle appelle de ses vœux.
Terre de liens demande des « engagements forts » pour orienter les terres agricoles vers « des productions vouées à l’alimentation locale ». L’organisation souligne au passage que la France importe aujourd’hui en produits alimentaires « l’équivalent de 9 millions d’hectares ».
« Il y a moins d’exploitations que sur le papier »
Terre de liens dénonce aujourd’hui la concentration des terres conduisant à « un nombre toujours plus faible de grandes fermes ». Reprenant des données de l’Insee, le rapport précise que la surface moyenne des fermes est passée de 24 à 69 ha entre 1988 et 2020.
Si la France compte aujourd’hui 390 000 unités de production, un chiffre qui a diminué de moitié en 30 ans, Terre de liens estime qu’elles seront 340 000 à l’horizon de 2025.
« Ces fermes qui n’ont cessé d’augmenter ne correspondant pas à ce que souhaitent les porteurs de projets. Ces derniers sont plus sensibles aux demandes sociétales comme les pratiques écologiques et l’alimentation locale », explique Coline Sovran, chargée de plaidoyer pour Terre de liens et l’une des rédactrices du rapport.
Pour l’organisation, cette concentration détruit des emplois mais pas seulement selon les propos de Robert Levesque de l’association Agter présent lors de la présentation du rapport. « Cette concentration est sous estimée. Il y a un certain nombre d’exploitations qui font faire tout le travail à des entreprises de travaux agricoles. Il y a moins d’exploitations que sur le papier. Et il y a parmi les grandes exploitations, des personnes physiques qui par le biais des holdings peuvent accaparer 2 ou 3 exploitations », explique-t-il.
Il regrette que cette concentration conduise « à une simplification des itinéraires de production, à l’augmentation du capital d’exploitation (tracteurs de plus en plus gros, automatisation des processus d’exploitation, augmentation du cheptel par ferme) ». « Un capital de plus en plus lourd à financer », selon lui.
Les candidats à l’élection présidentielle dans le viseur
À côté de cette course à l’agrandissement qu’elle explique par des raisons économiques, Terre de liens tire aussi la sonnette d’alarme sur l’artificialisation des terres agricoles estimée à environ 55 000 hectares par an. « Cela représente l’équivalent du besoin alimentaire d’une ville moyenne comme Le Havre. On est en train de détruire un patrimoine commun qu’on ne retrouvera pas », affirme Tanguy Martin, chargé de plaidoyer chez Terre de liens et coauteur du rapport.
Selon le rapport, à ce rythme d’artificialisation, « certains auteurs projettent que 7 millions d’hectares seront artificialisés en 2050, ce qui représente 50 % des surfaces artificialisées actuelles ». La faute à des cadres législatifs et réglementaires incapables d’enrayer le phénomène. La récente loi Climat, dont l’un des volets était dédié à la lutte contre l’artificialisation des sols, a été un coup manqué pour l’organisation qui réclame d’aller plus loin.
Terre de liens a précisé qu’elle a envoyé son rapport à l’ensemble des candidats à l’élection présidentielle. Elle leur a notamment demandé de s’engager une grande loi foncière. Terre de liens a prévu de publier leurs réponses sur son site après le 20 mars 2022.