« Arrêtez la chasse, descendez, vous avez l’air d’être un type bien. » Anna Ruszkiewicz, 44 ans, vêtue d’un gilet jaune, invite un chasseur à abandonner son affût au cœur d’une forêt. « Passez de l’autre côté de la barricade, avec des gens comme nous, qui protègent les animaux au lieu de les tuer », plaide cette fonctionnaire de Varsovie.
Une battue à l’eau
Avec une quarantaine d’autres écologistes, elle est venue bloquer une chasse en battue, à 40 km au sud-ouest de la capitale. « On se promène. On ramasse des champignons. On a bien le droit ? La forêt appartient bien à tout le monde », dit-elle, alors qu’il fait –8°C. Pour la douzaine de chasseurs, c’est encore une chasse ratée.
Un par un, les chasseurs descendent des affûts, rangent leurs fusils et font monter les chiens dans leur voiture. Furieux, ils démarrent sur les chapeaux de roue. Ils auront les écolos à leurs trousses toute la journée. L’objectif, dit Anna Michajlow, coordinatrice de la traque, « est de ne pas permettre qu’ils aillent chasser dans une forêt à côté ».
Ce jour-là les écologistes l’emportent. À 15h30, la chasse est close sans aucun sanglier tué. La veille, un seul avait été abattu. « Les écologistes nous empêchent de chasser. La chasse hier a été bloquée, le week-end dernier aussi. Aujourd’hui encore, ils sont venus à plusieurs voitures. On ne peut pas tirer », se plaint Ryszard Lewandowski, secrétaire de l’association de chasse Cyranka, basée à Jeziorka.
« Un cercle vicieux »
« C’est un cercle vicieux. Le ministre nous demande d’abattre des sangliers, et nous, on ne peut pas le faire, poursuit-il. Or le virus avance vers l’ouest, et touche les élevages de porcs. Si ça continue, il finira par atteindre l’Allemagne. » En fait, les Allemands ont déjà abattu, par précaution, 820 000 sangliers, souligne-t-il. Les Tchèques n’ont pas demandé ce service aux chasseurs : ils ont engagé les tireurs d’élite de la police.
La police appelée sur les lieux prélève les noms des écolos. L’atmosphère est tendue mais pacifique. Les uns accusent les autres, les écolos reprochent aux chasseurs « l’extermination » d’une espèce. Les chasseurs accusent les écolos d’être financés par des lobbys hostiles à la Pologne. « Qui vous finance ? Qui vous paie pour que la PPA se propage, et que les éleveurs payent les frais ? », lance un chasseur furieux.
Selon les données de la fédération de chasse PZL, les chasseurs ont abattu près de 200 000 sangliers depuis le 1er avril, soit 90 % du total prévu. Pour chaque sanglier abattu dans le cadre de l’opération « sanitaire », un chasseur touche l’équivalent de 120 euros. Sur le plan sanitaire, « la situation est inquiétante, explique Grzegorz Wozniakowski, chef du laboratoire national à Pulawy. Les prélèvements sur 24 sangliers abattus à Garwolin, à 40 km de Varsovie, ont tous été positifs. 100 % de ces sangliers étaient atteints, contre 10 % en général. »
« Bien sûr, on ne tire pas sur les laies et leurs petits, assure le chasseur Marcin Jakubczak, 42 ans. C’est contraire à l’éthique du chasseur, bien plus ancienne que le mandat d’un ministre. » Cette recommandation du ministre de tirer également sur les laies sans respecter la période de reproduction a été la goutte qui a fait déborder le vase. Le ministre l’a finalement retirée, mais les tensions ont conduit le président de la fédération de chasse à démissionner.