« Quand je me suis adressé à Yoann et Marie-Laure, je n’avais pas vraiment de problème… Mais j’étais en réflexion, se souvient Jean-Michel Rabiet, céréalier à Cusey, en Haute-Marne. Je fais beaucoup de choses professionnellement : j’exploite 260 hectares de grandes cultures en bio, j’emploie deux salariés et je suis aussi conseiller départemental, en plus d’avoir récemment lancé une plateforme de troc entre agriculteurs, Agri-échange. Bref, tout ça me prend beaucoup de temps. Et mon souci est que j’aime tout ce que je fais. »

70 heures par semaine

Mais à 53 ans, Jean-Michel Rabiet ne veut plus continuer à travailler 70 heures par semaine. « Même quand on aime son boulot, ça n’a pas de sens. J’ai envie de prendre du recul. Est-ce que je renonce à mon engagement politique ? Est-ce que je continue ? Est-ce que je m’organise autrement sur mon exploitation ? Je me posais toutes ces questions. »

Jean-Michel Rabiet, agriculteur : « Agrimindlab m’a permis de commencer à structurer mon raisonnement. » © DR
Jean-Michel Rabiet, agriculteur : « Agrimindlab m’a permis de commencer à structurer mon raisonnement. » © DR

 

Quand il rencontre Yoann Dumont et Marie-Laure Gauvin par le biais du réseau cofarming, le céréalier voit l’opportunité de faire un pas de côté. L’exploitant de la Côte-d’Or et la coach professionnelle qui œuvre déjà auprès de coopératives agricoles et de Cuma, ont en effet mis au point « Agrimindlab » : le duo organise des demi-journées d’échanges entre agriculteurs – 6 au maximum. « Chacun apporte la problématique à laquelle il souhaite répondre. Grâce au groupe et à l’accompagnement d’un coach, des réponses émergent, explique Marie-Laure Gauvin.

Transformer les pressions

À l’origine, les deux associés, ensemble dans la vie, font le même constat : « Yoann cherche toujours à innover tant en termes de commercialisation que de conduite de ses cultures, poursuit-elle. Et il se pose très souvent la question du pouvoir qu’il a encore sur son exploitation. De mon côté, dans mon travail, j’observais que cette zone du leadership était parfois délaissée par les agriculteurs. Trop de boulot, énormément de responsabilités et beaucoup de pression… Ils oublient parfois qu’ils ont encore la liberté de choisir : comment je conduis mon métier au quotidien ? Comment je prends mes décisions pour exercer mon métier comme je l’entends, et non pas comme le veulent mes voisins, mes aïeux, ou encore l’État et l’Europe. »

« Ça a été bluffant pour moi »

Au fil du temps, l’idée est donc venue pour le couple de créer un lieu de ressource pour des petits groupes d’agriculteurs qui ne se connaissent pas. Une démarche ambitieuse pour le secteur qui peine à parler de ses difficultés : « La notion de coaching n’était pas du tout évidente pour moi au départ, reconnaît Jean-Michel Rabiet. Nous, les agriculteurs, on n’est pas habitué. Mais j’étais aussi curieux, j’avais envie de voir, je voulais tester leur méthode. »

 

Marie-Laure Gauvin anime les séances, « elle vous fait parler de vos problèmes, uniquement professionnels, c’est très important. Et elle ne donne jamais son avis, poursuit le céréalier, mais des outils pour travailler nous-mêmes. Elle nous accompagne et n’essaye pas de nous influencer ».

 

Et parmi ses outils, la coach a recours à des Lego. « Alors, au départ, ça ne me branchait pas plus que ça, explique l’agriculteur. Se couper du cérébral en laissant ses mains s’exprimer… je ne voyais pas bien où Marie-Laure voulait en venir. Mais ça a été bluffant comme truc pour moi, la construction que j’ai faite comme le code de couleur. C’était étonnant. Ça m’a permis d’identifier un peu mieux mes problématiques, et de commencer à structurer mon raisonnement. »

40 ans, 500 ha et plus de vie

Jean-Michel Rabiet prévoit de poursuivre son accompagnement. Pour lui, Agrimindlab dépasse son cas pour répondre à une réelle problématique du secteur : « Avec la baisse de revenu qui s’est installée insidieusement en trente ans, on arrive à un point limite : je vois beaucoup d’exploitants qui ont 40 ans, à la tête de 500 hectares, de 100 vaches, ils n’ont fait que de grossir, et désormais ils bossent jour et nuit. Mais ils sont aussi devenus malheureux, parce qu’ils ne font que bosser, qu’ils n’ont plus de vie. Et je crois qu’il faut une aide pour y voir plus clair. Ca vaut le coup de perdre un peu de temps, pour soi. C’est même la priorité. »

 

Marie-Laure Gauvin et Yoann Dumont proposent des packages de trois séances (par demi-journée) à deux mois d’intervalle sur leur ferme, à Bèze, en Côte-d’Or. Les agriculteurs viennent de partout. Le coût est estimé à 250 euros la journée (les repas sont pris en charge). Une séance découverte est programmée le 24 mai.