Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’arrêté et le décret, sortis in extremis au Journal officiel du 29 décembre 2019, font l’unanimité sur un point. Que ce soit la profession agricole ou les ONG, personne n’est satisfait, d’autant que ces textes sont difficiles à analyser.

« Notre incompréhension est totale, s’insurgent la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et Jeunes agriculteurs (JA). Le gouvernement laisse la place à l’idéologie. Il tient une position inverse à notre volonté de dialogue et de solutions locales. » De son côté Éric Thiroin, président de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB), considère qu’« avec la mise en place de ZNT (zone de non traitement), notre capacité de production est attaquée, sans aucune contrepartie. Qui va payer ces nouvelles contraintes ? Qui va prendre en charge la perte financière sur ces surfaces non protégées liée à la perte de rendements, les foyers de contamination de maladies pour le reste de la parcelle, les coûts d’entretien de ces bandes ? »

Alors que la Confédération paysanne dénonce l’inutilité de ces textes face au besoin urgent d’une politique publique qui permette de s’affranchir des pesticides, pour la Coordination rurale et sa section spécialisée France grandes cultures, ils sont inapplicables et méprisants vis-à-vis des agriculteurs. « Cela va multiplier les conflits en entretenant encore plus les suspicions. Le ministère de l’Agriculture fait lui-même de l’agribashing alors qu’il souhaitait lutter contre », souligne Nicolas Jaquet, président de France grandes cultures.

Pour Générations futures, « Le compte n’y est pas. Notre association va déposer très prochainement un recours en justice contre ces textes. » Agir pour l’environnement souhaite également saisir la justice afin de faire annuler cette réglementation qui n’est, selon elle, « qu’une farce de mauvais goût ».

La mention de danger H304 retirée

Si l’on se penche plus précisément sur les deux textes, on peut effectivement s’interroger sur l’impact réel des 53 674 contributions de la consultation publique (lire Le dessous des cartes, p. 20). Pourtant les ministères de l’Agriculture, de la Transition écologique et de la Santé rappellent que « le dispositif retenu est issu de ce processus » et qu’à cette occasion « une part importante des participants ont exprimé de fortes inquiétudes sur l’incidence de ces produits sur la santé mais également sur l’avenir de la profession agricole. »

Quelques modifications sont tout de même à noter entre les versions initiale et définitive. Ainsi, la mention de danger H304 (« Peut être mortel en cas d’ingestion et de pénétration dans les voies respiratoires ») n’est plus listée dans les substances les plus préoccupantes soumises à une ZNT incompressible de 20 mètres.

Réduction de la liste des produits

Si cela reste problématique dans certains cas de figure, ce retrait a réduit la liste de produits, car cette « phrase de risque » s’applique à beaucoup de spécialités. Selon les premières estimations de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), le potentiel de surfaces concernées passerait de 8 à 3 %. Reste toutefois que la profession se questionne sur le passage de 10 à 20 mètres, « dénoué de tout fondement scientifique ». « Cela va induire une distorsion de concurrence puisque, dans le cadre de l’évaluation des substances actives au niveau européen, le risque pour les riverains ou les promeneurs est désormais pris en compte et n’excède jamais 10 mètres », ajoute Eugenia Pommaret, de l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP). Que dire des perturbateurs endocriniens, également concernés par cette ZNT de 20 mètres, alors qu’il n’y a pas de liste officielle de produits ?

Parmi les réponses apportées lors de la publication des textes officiels et du dossier de presse, on note que les traitements concernés par la mise en place de ZNT seraient uniquement ceux réalisés sur les parties aériennes. Exit les traitements de semences et les traitements du sol. La distance devrait, par ailleurs, être calculée à partir de la limite de propriété (voir l’infographie p. 15).

Par ailleurs, les produits de biocontrôle ne seront pas visés par ces mesures au même titre que « les traitements nécessaires à la destruction et à la prévention de la propagation des organismes nuisibles réglementés ».

Sans charte, pas de réduction de ZNT

À l’exception des produits les plus dangereux et des endroits hébergeant les personnes vulnérables (maisons de retraite, écoles…), ces distances pourront être réduites (voir les modalités dans l’infographie), mais pas supprimées. Pour cela, il faudra employer du matériel de pulvérisation performant (lire l’encadré p. 14) et s’appuyer sur une charte d’engagement départementale. Celles déjà établies avant la sortie du texte devront subir un toilettage plus ou moins important, avec notamment la prise en compte des distances de sécurité officielles. Certes, ces chartes deviennent en partie caduques, mais comme les instances représentatives se sont déjà réunies, on peut penser que cela permettra de perdre moins de temps dans l’élaboration des nouvelles versions. Un peu moins de trente avaient été signées avant fin 2019, une trentaine d’autres attendaient la sortie du décret et, dans la majorité des départements restants, les travaux avaient commencé.

Reste que le décret détaille le processus d’élaboration à respecter pour constituer ces chartes : avant d’être transmises au préfet, elles devront être soumises à une concertation publique d’une durée minimale d’un mois. Or, beaucoup d’associations écologistes prévoient de déposer des commentaires négatifs. Cela pourrait retarder leur signature et la possibilité de réduction des ZNT. C’est toutefois le préfet qui aura la main sur la décision finale.

Céline Fricotté