Le renouvellement des générations est un défi majeur pour le monde agricole. Six départs sur dix sont aujourd’hui compensés par une installation. Autrement dit, il y a une installation pour presque deux départs. Or, avec l’accélération prévisible des départs à la retraite dans les prochaines années - un tiers des chefs d’exploitations a plus de 57 ans, soit plus de 120 000 agriculteurs -, les statistiques risquent fort de ne pas s’améliorer ! Alors où et comment trouver les bras pour reprendre les fermes ? Les candidats non issus du milieu agricole, aussi désignés par l’acronyme « Nimas », seront-ils l’avenir de l’agriculture ?
Il va falloir compter avec ces nouveaux profils pour une question démographique d’abord : alors qu’en 1990, près de quatre élèves sur dix de l’enseignement agricole étaient enfants d’agriculteurs ou de salariés agricoles, ce n’est le cas que d’un élève sur dix actuellement, selon les derniers chiffres du ministère de l’Agriculture. Et ils sont nombreux parmi les quelques 21 000 personnes qui se renseignent aux Points accueil installation (PAI) chaque année. « Ils représentent 60 % des porteurs de projets », estime François-Étienne Mercier, vice-président de Jeunes agriculteurs (JA), responsable du dossier installation, qui voit « d’un très bon œil » ces candidats. « Nous sommes persuadés que nous allons relever le défi démographique avec ce nouveau public », affirme-t-il.
Des hors-cadre sans lien avec l’agriculture
Comment peut-on caractériser ces profils « hors du sérail » qui veulent faire de l’agriculture leur métier ? Une première définition évidente fait appel à la non-filiation : un Nima a ses deux parents qui ne sont pas agriculteurs et ne l’ont jamais été. Ils appartiennent de fait à la catégorie des « hors cadre familial » (HCF), lesquels s’installent sur une ferme indépendante de l’exploitation d’un parent jusqu’au 3e degré (oncle ou tante). Ainsi, un enfant d’agriculteur qui reprend la ferme d’un tiers est un HCF, mais pas un Nima.
Les Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam) les définissent, quant à eux, comme des personnes qui ne bénéficient pas de « facilités d’accès » pour s’installer : pas de transmission de savoirs par des liens familiaux, ni de connaissance du contexte agricole.
Un portrait-robot difficile à dessiner
L’Institut de l’élevage (Idele) a essayé d’en faire un portrait-robot, mais sans succès : « Il y a une trop grande diversité de profils, en termes de parcours, d’âges, de formation et de projets. Le terme de Nima est davantage un concept. Ce qui les caractérise, c’est justement leur diversité et leur hétérogénéité », explique Alizée Chouteau, co-auteur d’une étude de 2020 sur les Nimas en élevage (1). En revanche, les Nimas ont en commun un attrait pour le milieu agricole, qu’ils ont découvert par des connaissances travaillant dans l’agriculture ou le para-agricole, ou parfois à l’occasion de vacances à la campagne.
Pas facile donc de les ranger dans une boîte. Mais distinguer les « enfants d’agriculteurs » des autres est-il au fond pertinent ? Pas sûr, à en croire Fanny Forestier, en charge des installations à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire. « C’est une information que l’on nous demande de tracer quand on reçoit des porteurs de projets au Point accueil installation. Mais avoir ou non des parents agriculteurs n’est pas fondamental. Qui demanderait à un coiffeur qui reprend un salon si ses parents étaient eux-mêmes coiffeurs ? » L’acronyme deviendrait même stigmatisant, en sous-entendant que le candidat n’est pas formé… Pour la conseillère, comme pour tous les experts interrogés, c’est plutôt la motivation et la formation du porteur de projet qui conditionneront le succès de son installation.
Un engouement accentué par le Covid
L’intérêt des Français pour l’agriculture semble avoir grandi pendant la crise sanitaire liée au Covid. En 2020, le nombre de porteurs de projets accueillis dans les PAI a bondi. Dans les départements normands, par exemple, près de 1 400 sont venus se renseigner, alors qu’ils étaient un peu moins de 900 en 2015. Parmi eux, 60 % de Nimas contre 50-55 % habituellement. « Après le confinement, nous avons été contactés par des personnes en quête de sens dans leur activité, avec des envies de reconversion professionnelle en agriculture », observe Christian Body, responsable d’équipe au service installation transmission de la chambre d’agriculture de Normandie. Toutes les personnes qui ont poussé la porte des PAI ne transformeront pas l’essai, mais les projets, même si certains étaient embryonnaires, indiquent des centres d’intérêts forts : un tiers était en production biologique, un tiers comprenait une activité de transformation et près de la moitié était en circuits courts.
Des reconvertis et des ruraux
« Quand on parle de Nimas, on pense d’abord à des gens plutôt urbains, bien formés et en reconversion professionnelle, explique Christian Body. Mais il y a aussi des personnes investies dans le monde rural, par leur formation ou leur expérience professionnelle. » Les premiers s’intéresseront surtout à des petites surfaces pour des projets de maraîchage, d’élevage de volailles ou de caprins, de plantes aromatiques. Attirés par la transformation et la vente directe, ils se concentreront près des centres urbains pour se rapprocher de la clientèle. Les seconds seront plus intéressés par des projets plus conventionnels et s’orienteront vers l’élevage bovins lait par exemple, observe le conseiller.
Autre caractéristique : les Nimas s’installent quelques années plus tard que les enfants d’agriculteurs, pointe l’Idele. Ils opèrent souvent une réorientation professionnelle autour de 35-40 ans (voire après 55 ans), pour chercher « du sens » et une reconnexion à la nature.
Les Nimas recherchent d’une part la polyvalence du métier et souhaitent d’autre part être leur propre patron, indépendants et autonomes. Ils mettent en avant la maîtrise de leur emploi du temps et la qualité de vie à la campagne.
Une étude du Civam d’Ille-et-Vilaine (2) de 2018 révèle aussi la volonté des Nimas de se soustraire aux circuits industriels classiques. L’étude pointe aussi le décalage entre les offres de reprise d’exploitations et les aspirations des porteurs de projet non-issus du milieu agricole.
Des attentes en décalage avec l’offre de reprise
En Ille-et-Vilaine où les fermes laitières représentent 50 % des exploitations, seuls 8 % des candidats Nimas souhaiteraient s’installer en élevage bovin laitier, alors qu’ils sont 40 % à être intéressés par le maraîchage et les plantes aromatiques. Un problème d’inadéquation entre l’offre et les projets, souligne Coline Sovran, du réseau Civam, qui propose « un accompagnement des cédants à la restructuration de leur ferme ». Ce décalage concerne aussi bien le choix de la production que la dimension de l’entreprise, observe Fanny Forestier, de la chambre d’agriculture des Pays de la Loire.
Intégrer une société existante, même si cela est moins cher, est peu recherché : les Nimas ont davantage la volonté de créer une structure individuelle. Les petites surfaces de moins de 20 ha, très recherchées par ces candidats à l’installation pour des projets atypiques, sont particulièrement rares. Et quand elles sont disponibles, elles sont parfois boudées par les porteurs de projet, regrette Christian Body : « Certains ont un projet “rêvé”, où ils veulent créer leur structure à leur image. Ils ne souhaitent pas reprendre une activité déjà en place. Mais ils ne voient pas toujours que c’est très lourd et chronophage de mettre en œuvre l’atelier de production, la transformation et le développement d’une clientèle ! »
Lever les craintes des cédants
L’accès au foncier reste toutefois un obstacle pour les Nimas, qui ne bénéficient pas du « bouche à oreille » pour dénicher les opportunités. En parallèle des annonces et des offres du Répertoire départemental à l’installation (RDI), géré par les chambres d’agriculture, ils peuvent frapper aux portes de la Safer. En 2020, celle-ci a accompagné près de 1 000 premières installations hors cadre familial (contre 500 au début des années 2000), en leur attribuant 38 % des surfaces rétrocédées. « Les Nimas sont des candidats intéressants pour les cédants, estime Alizée Chouteau, de l’Idele. Ce sont des profils différents mais motivés, qui ont envie de découvrir et d’apprendre. Ils arrivent souvent avec des expériences et des compétences enrichissantes, et avec un regard extérieur et neuf. » Mais si la motivation est bien là, il manque parfois les bases, observe la conseillère : « Il leur faut gagner en pratique et les parcours purement scolaires ne suffisent pas. L’alternance et l’apprentissage sont des parcours de choix. »
Mais même bien formé, il n’est pas toujours aisé pour un candidat Nima de gagner la confiance d’un cédant. C’est ce que relève le Conseil économique, social et environnemental (Cese) dans son rapport « Entre transmettre et s’installer, l’avenir de l’agriculture », de 2020 : « Le cédant peut éprouver des inquiétudes sur le devenir de l’exploitation, liées par exemple à des méthodes nouvelles susceptibles d’être mises en œuvre par son successeur. » Pourtant, un projet novateur d’un Nima n’est pas forcément fantaisiste ou fragile : « La réalité économique du projet fera loi, estime Christian Body. La banque fera le tri et ne financera pas un dossier risqué. »
Parfois les réticences sont indépassables : pour les personnes n’ayant jamais rencontré de Nima, la perspective de leur transmettre l’exploitation est inenvisageable par crainte d’échec, pointe une seconde étude du Civam d’Ille-et-Vilaine (3). Le statut de Nima paraît, à lui seul, insécurisant, poursuit l’étude : les futurs cédants sont d’ailleurs plus ouverts au changement de production que sur le profil du repreneur. « Les Nimas doivent faire doublement leurs preuves », observe Alizée Chouteau. Pour s’entendre, cédants et Nimas doivent apprendre à s’apprivoiser. C’est en favorisant les échanges et les rencontres entre cédants et repreneurs, encourage le Cese, « que d’éventuelles incompréhensions peuvent disparaître. »
(1) Les personnes non-issues du milieu agricole : le futur du renouvellement des générations en élévage ?, Idele, 2020.
(2) Analyse des freins à l’installation en élevage bovin lait des personnes non issues du milieu agricole, Civam 35, 2018.
(3) Les éléments influençant les futurs cédants dans la perception de la transmissibilité de leur ferme laitière, Civam 35, 2018.
par Sophie Bergot et Alessandra Gambarini