Faute de mieux, on leur avait promis un « atterrissage en douceur ». Pour les éleveurs des anciennes zones défavorisées simples, 2021 sera le début d’une ère sans ICHN, après deux années de versement dégressif de l’aide. Deux ans pour se préparer collectivement et surtout individuellement à l’impact.

Celui-ci est redouté dans les Deux-Sèvres, où le nombre de bénéficiaires de l’aide passe de quelque 1 100 à une centaine. À l’échelle du département, des solutions collectives sont en gestation. Elles concernent la restauration collective et les énergies renouvelables. Un autre groupe planche sur une nouvelle solution de portage du foncier et du capital d’exploitation, via la création d’une structure ad hoc. Enfin, la souscription de MAEC a été facilitée : 273 bénéficiaires actuels de l’ICHN en ont signé en 2018 (pour un budget de 2,9 M€) et 137 en 2019 (1,4 M€).

À l’échelle de l’exploitation, chacun s’adapte comme il peut. Alain Chabauty, éleveur naisseur-engraisseur en Gaec, a réduit son cheptel allaitant de 105 à 85 vaches, tout en ajoutant 1 200 m² à son bâtiment de volailles de 1 400 m². Il n’est pas le seul à avoir misé sur la diversification. « De nouveaux ateliers se créent, surtout en hors-sol et volailles, car la perte brutale d’une aide incite à se tourner vers des productions non aidées », observe celui qui est aussi élu à la chambre. « Pour nous, la volaille compensera à peine la perte des 16 000 € d’ICHN. Mais on améliore parallèlement nos résultats sur l’atelier bovin. On essaie de faire moins mais mieux. »

Égalementdans les Deux-Sèvres, Loïc Parnaudeau a, lui, conservé ses 500 brebis allaitantes afin de maintenir son chiffre d’affaires. « J’ai eu la chance de pouvoir reprendre 20 ha de prairies en 2019. » Une aubaine, pas tellement pour les DPB qu’ils portent (115 €/ha) mais parce qu’ils lui ont permis d’extensifier sa conduite, et donc de signer une MAEC qui compense exactement les 7 800 € d’ICHN perdus. Avant, malgré son orientation herbagère, son système hyperoptimisé sur 54 ha était trop « intensif » pour accéder à une MAEC. « Cela ne sauve pas tout le monde, tempère l’éleveur. À la Cuma, on était une quinzaine à toucher l’ICHN. En cumulé, on pert 95 000 € ! La plupart n’ont rien trouvé pour compenser. »

Tenir jusqu’à la retraite

Pour lui, à 55 ans, le contrat MAEC comblera le vide de l’ICHN jusqu’à la retraite. Il n’a pas encore cherché de repreneur mais observe qu’à la Cuma, « les collègues inscrits au Répertoire départemental de l’installation ne reçoivent aucun appel ». En attendant, il s’inquiète quand il voit des collègues qui « cherchent à faire des économies en arrêtant le contrôle de croissance, le contrôle laitier ou les inséminations, ou font l’impasse sur les amendements. »

Inquiet, Richard Courtigné l’est aussi. Éleveur de charolais et président du GDS d’Indre-et-Loire, il constate que « les cotisations ont de plus en plus de mal à rentrer ». Idem à la Cuma qu’il préside. Sur son territoire, les coups durs s’accumulent. À la perte de l’ICHN se greffe la perte des MAEC, faute de budget. En tant que sortant de zone défavorisée simple, il a pu prolonger d’un an sa mesure « système polyculture-élevage », souscrite en 2015. Mais la prime est rabotée : il touchera 7 500 € en 2020 au lieu de 10 000 € les cinq années précédentes, et probablement rien en 2021. Ce qui laisse un goût amer : « On nous avait dit de ne pas nous inquiéter de la fin de l’ICHN ni des MAEC, car la nouvelle Pac, après 2020, prendrait tout cela en compte. Mais la nouvelle Pac est reportée, pas la réforme du zonage ICHN, et l’enveloppe MAEC est vide. »

Retards de paiements

La solution retenue à la suite de l’audit de son exploitation sera de réétaler ses prêts (lire l’encadré p. 14). « Mais on n’en arriverait pas là si on vendait nos bêtes à un prix correct. » La réalité en est loin. Surtout après la crise du Covid-19, qui a frappé la filière « Bœuf du Maine label rouge », montée avec la chambre d’agriculture pour recréer de la valeur. « Des bêtes qui auraient dû partir à 4,35 €/kg ont été payées 3,5 €/kg pour finir en steak haché, soupire-t-il. Je m’en sors tout juste en vendant des reproducteurs et des embryons. Mais ceux qui vendent des broutards ? Je n’ose plus dire aux jeunes de s’installer en viande bovine. »

Les jeunes commencent déjà à déserter les coteaux du Gers, constate Jean-Claude Villas, éleveur en Gaec avec sa femme. Il observe ses collègues qui font le dos rond « en attendant la retraite, sans avoir de repreneur en vue, surtout pas pour de l’élevage. » Le couple, qui perd 15 000 €, a choisi de retourner 60 ha de prairie, portant ses surfaces cultivées à 100 ha. « Les rendements étant faibles, on a converti les cultures en bio pour en tirer le meilleur prix », explique l’éleveur. Pour l’instant, il a conservé ses 100 vaches sur 70 ha de prairies et il achète les stocks.

Dans les Pyrénées-Atlantiques, Sylvain Bordenave a eu plus de chance. Sa commune enclavée entre les montagnes a fini par être reclassée en mai 2019. Mais à l’échelle du département, la réintégration de sept communes ne repêche qu’une centaine d’éleveurs sur les 344 bénéficiaires de l’ICHN, relativise le jeune éleveur et viticulteur, élu JA à la chambre d’agriculture. Des solutions collectives ont été cherchées. « On a ouvert une MAEC “système polyculture-élevage” pour les coteaux. Elle touche presque tous les éleveurs allaitants, car ils sont à peu près dans les clous du cahier des charges. » Mais le montant ne compense pas toujours l’ICHN… et l’aide ne dure que cinq ans. Autre bémol : « Les éleveurs laitiers, qui ont de petites surfaces, dépassent le plafond d’achat d’aliments. Pour eux, la chambre travaille à monter une filière mieux valorisée. Mais c’est long. » Énergies renouvelables, filière protéique locale et atelier collectif d’engraissement sont à l’étude.

En Auvergne-Rhône-Alpes aussi, des démarches territoriales coordonnées par la Draaf ont été lancées dès 2018. D’une part, un projet agroenvironnemental et climatique, porté par la chambre d’agriculture régionale, permet aux éleveurs exclus des zones défavorisées de souscrire une MAEC herbagère à partir de 2020. Un budget de 1,8 M€ a été débloqué. D’autre part, des réflexions sur le développement de filières ont été menées sur certains territoires. Elles visent à lancer des dynamiques « allant au-delà de la compensation de l’ICHN », souligne la Draaf. Mais la traduction concrète dans les exploitations n’est « pas encore visible ».

Éleveurs laitiers dans le Rhône, Guillaume Peillon et ses parents ont choisi de se lancer sans rien attendre de personne. Coincés par leurs récents investissements dans un bâtiment neuf avec robot, ils ont gardé le même cheptel mais transformeront désormais une partie du lait. « On a créé une yaourterie pour dégager plus de revenu et installer une salariée, explique Guillaume. Grâce à la société “Né d’une seule ferme”, qui propose des ateliers clés en main, on transformera 52 000 l en yaourts pour livrer Intermarché dès ce mois de juillet. On en vendra aussi un peu en direct. » Le Gaec a déjà fait ses premiers pas en vente directe, avec du veau en caissette.

S’ouvrir des portes

Se réinventer, se diversifier… Alexis Gelot voudrait bien. « Ici, on ne peut rien faire, lâche le jeune éleveur installé début 2018 dans le marais poitevin vendéen. Natura 2000 a tout sanctuarisé. On ne peut pas retourner de prairie ni construire de nouveau bâtiment. Mes 11 500 € d’ICHN, c’est un septième de mon EBE qui s’envole, la part correspondant à mon revenu. » La profession et les élus locaux s’étaient fortement mobilisés en 2018, faisant naître un espoir. « Terminé, tout le monde a oublié », soupire Alexis. Quant aux MAEC… « Une partie des terres que j’exploite sont des pâturages communaux sur lesquels la mairie a déjà contractualisé des mesures. Je ne pourrais donc engager que mes terres. La seule mesure accessible est le retard de fauche, qui me rapporterait 1 600 € tout en m’obligeant à racheter du foin ! » Il mise plutôt sur l’optimisation de ses résultats techniques, notamment grâce au contrôle de croissance. « J’essaie de m’ouvrir le maximum de portes, par exemple avec la filière Bœuf label rouge. » Même si, là aussi, la valorisation n’est pas toujours à la hauteur des promesses.

Bérengère Lafeuille