La publication du rapport du Circ (Centre international de recherche sur le cancer) en 2015, évaluant les dangers liés à une exposition au glyphosate, retentit toujours sur le débat autour de la réautorisation de ce dernier en Europe. Le Circ, qui a conclu que l’herbicide était probablement cancérigène pour l’homme, s’oppose aux avis de l’Autorité européenne des aliments (Efsa) et de l’Echa (Agence européenne des produits chimiques). Les raisons des divergences sont connues : les deux institutions ont une approche différente (évaluation du danger pour le Circ, du risque pour l’Efsa), et ne se basent pas sur les mêmes études (lire La France agricole n° 3687 du 24 mars dernier, p. 17). C’est notamment ces dernières qui font l’objet de requêtes, dénonciations ou critiques.

Sur le plan scientifique, une contre-expertise adressée fin mai par un toxicologue américain, Christopher Portier, au président de la Commission européenne, estime que les cas d’augmentation de tumeurs (chez le rat), à la suite d’une exposition au glyphosate, ont été sous-estimés par l’Efsa. Sur le plan politique, le 1er juin dernier, quatre eurodéputés ont saisi la Cour de justice de l’Union européenne. Ils lui demandent d’étudier la question de la non-divulgation des études sur lesquelles l’Efsa s’est fondée pour conclure à la non-cancérogénicité du glyphosate.

La transparence dans la procédure d’autorisation du glyphosate a aussi été débattue au Parlement européen le 13 juin dernier. Sa commission « Environnement » a invité le Commissaire européen à la Santé et à la Sécurité alimentaire à s’exprimer sur le sujet, en remettant en cause l’indépendance des études scientifiques sur lesquelles s’est appuyée l’Efsa pour juger du caractère cancérogène du glyphosate.

Double feu vert pour la Commission

Le commissaire Vytenis Andriukaitis a pris le temps d’exposer le point de vue de la Commission européenne, défendant ses agences (voir encadré), et rappelant la prudence dont la Commission a fait preuve en demandant une seconde expertise scientifique sur le glyphosate (celle de l’Echa). Avec un double avis favorable, il n’y a selon lui aucune raison de remettre en question la réautorisation du glyphosate.

C’est l’avis de la Glyphosate Task Force (GTF), qui réunit les fabricants européens ayant porté le dossier de réhomologation du glyphosate : celui-ci devrait, selon elle, « être renouvelé pour 15 ans » et « ne devrait pas faire l’objet de restrictions » d’usage, en accord avec les résultats d’évaluation des risques des agences européennes. Ces restrictions (usage en prérécolte, dans les espaces publics, et en mélange avec le coformulant POE-tallowamines) font partie des mesures de prudence mises en œuvre par la Commission en août 2016, et sont en vigueur jusqu’à fin 2017.

Une réautorisation pour 10 ans a priori

La proposition que la Commission européenne fera aux États membres n’est cependant pas définitivement écrite. Elle devrait l’être en juillet, pour un vote en octobre. Le 16 mai dernier, à la suite du collège des commissaires européens (équivalent d’un conseil des ministres), la Commission a indiqué vouloir redémarrer les discussions sur la base d’une réautorisation pour une période de 10 ans. Pas assez pour la GTF, et trop pour les ONG, et de nombreux parlementaires. Lors du débat du 13 juin dernier, le sujet a mobilisé une cinquantaine d’entre eux, et ils furent un certain nombre à réclamer un moratoire, une interdiction, ou la réalisation d’une nouvelle évaluation scientifique indépendante. Option non envisageable pour le commissaire Andriukaitis : « Si des individus peuvent continuer à être en désaccord avec l’écrasante convergence des opinions scientifiques, cela ne doit pas remettre en question la robustesse de notre système », a-t-il asséné. Rappelant un « niveau de transparence particulièrement élevé » pour le glyphosate, il a renvoyé les sceptiques ou partisans de son interdiction à encourager les agriculteurs à ne plus en utiliser.

La Commission n’en a pas fini de prendre en compte cette opposition au renouvellement du glyphosate : elle devra apporter une réponse aux questions des Européens signataires de l’Initiative citoyenne européenne (ICE) demandant l’interdiction de l’herbicide. « Déposée en juillet, l’ICE devrait être validée en octobre, ce qui permettra de prendre part au débat avant que le sort du glyphosate ne soit fixé », indique François Veillerette, directeur de Générations futures, une des 40 ONG qui portent l’ICE. Si le glyphosate, qui cristallise le rejet par l’opinion publique d’une agriculture industrielle et des OGM, a permis de réunir plus d’un million de signataires rapidement – en moins de 5 mois, soit un temps record pour une ICE –, cette initiative vise à connaître la position de la Commission sur la réforme de la procédure d’approbation des produits phytosanitaires. Les porteurs de l’ICE souhaitent « que toutes les études scientifiques soient prises en compte dans les évaluations par les agences compétentes ».

Lancée début 2017, cette initiative fait partie des éléments qui changent le contexte dans lequel les États membres vont voter pour ou contre la réautorisation du glyphosate. Autre élément venu d’outre-Atlantique, l’affaire des « Monsanto Papers » pèse également dans la balance. Le débat du 13 juin dernier au Parlement faisait suite à une question cosignée par tous les groupes politiques, extrêmes compris – et non par les seuls écologistes. En octobre prochain, les parties prenantes au dossier (Commission, Efsa, Circ, Agence de protection de l’environnement des États-Unis) sont invitées par les commissions « Agriculture » et « Environnement » du Parlement à discuter de la crédibilité scientifique des études utilisées dans les évaluations du glyphosate par le Circ, l’Efsa et l’Echa.