« Les phénomènes de résistance aux antibiotiques pourraient causer près de 10 millions de morts par an à l’horizon 2050 », avance Patrick Dehaumont, directeur général de l’Alimentation, le 13 novembre dernier lors du colloque annuel de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), à Paris. La lutte contre l’antibiorésistance demeure plus que jamais un enjeu majeur de santé publique. Selon Juan Lubroth, vétérinaire en chef de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), « les agriculteurs sont des combattants de premier plan ».

En la matière, les éleveurs français n’ont pas à rougir des efforts accomplis. En 2016, la consommation d’antibiotiques en santé animale était inférieure de 42 % à la moyenne européenne (voir l’encadré onglet p. 17). L’an passé, l’indicateur français d’exposition des animaux a encore diminué de 3,6 % par rapport à 2016. Dans le détail, il baisse de 19,4 % pour les lapins, de 10,1 % pour les volailles, et de 3,3 % pour les porcs. Il augmente toutefois sensiblement de 1,2 % chez les bovins.

Recul des ventes

Concernant les principales familles d’antibiotiques critiques - désignées comme telles car utilisées en dernier recours ou particulièrement génératrices de résistances -, les résultats sont encore plus probants. Entre 2013 et 2017, l’exposition des bêtes, toutes espèces confondues, diminue de 87,8 % pour les fluoroquinolones, et de 94,2 % pour les céphalosporines de troisième et quatrième générations. « Le premier plan Ecoantibio, mis en œuvre entre 2011 et 2016, est un succès, se félicite Roger Genet, directeur général de l’Anses. Il visait à réduire de 25 % l’usage. Sur cette période, la diminution de l’exposition s’élève à 37 %. »

Ces résultats vont de pair avec un net repli de la commercialisation. En 2017, elle atteint 499 tonnes, contre 530 t en 2016. « Il s’agit du volume le plus faible depuis le début de ce suivi en 1999. Elle atteignait alors 1 311 t, précise Delphine Urban, de l’Agence nationale du médicament vétérinaire. Cette évolution est en grande partie imputable à une diminution des ventes d’antibiotiques administrés par voie orale. »

Moins de résistances

Du côté des résistances, le Réseau d’épidémiosurveillance de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes animales (Résapath) relève « une tendance globale à la baisse ou à la stabilisation ces dernières années, qui se poursuit en 2017 ». Entre 2011 et 2017, la proportion de souches bactériennes multirésistantes est en « diminution significative dans toutes les espèces, sauf chez les équidés pour lesquels on observe une augmentation sur les trois dernières années ».

Pour Sophie Granier, du laboratoire de sécurité des aliments de l’Anses, « le second plan Ecoantibio 2017-2021 doit permettre de consolider cette réduction des résistances ».

Françoise Médale, chef du département physiologie animale et systèmes d’élevage à l’Inra, estime que ce deuxième volet « doit aussi améliorer les pratiques de prescription pour un moindre recours aux antibiotiques. Pour que les vétérinaires ne soient plus prescripteurs et vendeurs, d’autres actes pourraient être rémunérés. »

Depuis un décret du 16 mars 2016, les praticiens français doivent obligatoirement réaliser un antibiogramme avant la prescription de certains antibiotiques critiques. Dans une enquête réalisée par cinq chercheurs français auprès de 66 vétérinaires, publiée en septembre dernier (1), ces derniers rapportent un manque d’harmonisation à l’échelle européenne. « Tous les pays n’appliquent pas ce décret. Cela éviterait pourtant des distorsions de concurrence. »

Approche globale

Car l’antibiorésistance n’a pas de frontières : ni géographique, ni d’espèce. C’est sur ce principe que repose l’approche « One Health » : la santé humaine, animale, et des écosystèmes sont indissociables. Le rejet de molécules antibiotiques dans l’environnement lié aux activités humaines (production de médicaments, rejets hospitaliers et de stations d’épuration…) et ses effets sur l’apparition et le développement de résistances font l’objet de nombreux travaux de recherche. L’Inra s’intéresse notamment aux boues de station d’épuration et à leurs procédés de traitement (séchage, chaulage, compostage, méthanisation).

Produites lors du traitement des eaux usées et principalement épandues sur les terres agricoles, les boues sont une alternative intéressante aux engrais minéraux, mais peuvent aussi être vecteurs d’antibiorésistances. « Environ sept millions de tonnes sont épandues chaque année, rapporte l’institut. C’est minuscule, comparé aux trois cents millions de tonnes d’effluents d’élevage pouvant aussi contenir des antibiotiques. Mais les boues transportent en général une plus grande palette de molécules organiques et antibiotiques, car elles sont produites à partir d’eaux usées domestiques et industrielles. »

Le projet « MADSludge » porté par l’Inra prévoit à terme de proposer des préconisations d’usage des boues à destination des exploitants agricoles vis-à-vis du risque de diffusion de l’antibiorésistance, en tenant compte des contraintes du plan prévisionnel d’épandage (culture en place, état agronomique de la parcelle, type de sol). Car comme le résume Muriel Vayssier, chef du département de la santé animale de l’Inra, « l’antibiorésistance doit être combattue sur tous les fronts. »

Vincent Guyot, avec Ivan Logvenoff

(1) https ://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0167587718303039