Aucune recette universelle n'existe pour bâtir un prix. Chaque histoire est particulière et varie selon le chef d'exploitation aux manettes, le produit concerné, la zone de chalandise visée, le positionnement de marché choisi... Une réflexion est à mener au cas par cas pour aller chercher un maximum de valeur ajoutée.
- Se détacher de la concurrence. Le premier réflexe du producteur est de positionner son prix en fonction de ceux pratiqués par les voisins. Certes, il peut difficilement faire l'impasse de ces derniers, en particulier sur les marchés de plein-vent, zones concurrentielles par excellence. Mais s'abandonner à « la sagesse collective du marché », comme l'analyse Fréderic Iselin, professeur à HEC, peut s'avérer dangereux si l'on se résigne à des hausses ou des baisses de prix sans cohérence avec les réalités comptables de son entreprise. « Faut-il s'aligner sur les prix du revendeur voisin si ses poireaux viennent d'Espagne, interroge ainsi Anne-Marie Schmutz, conseillère à la chambre d'agriculture du Rhône ? Bien sûr que non. Un producteur peut vendre au-dessus de la concurrence s'il a des arguments. » A fortiori si le concurrent en question est une enseigne de la grande distribution. Impossible de rivaliser avec elle sur les prix bas ! En revanche, l'image « produit fermier, local et de saison » est un argument commercial de poids en vente directe.
- Couvrir les coûts de production et de commercialisation. Le minimum est d'assurer un prix d'équilibre, c'est-à-dire permettant de couvrir l'ensemble des coûts de production : les charges variables (ou opérationnelles) et les charges fixes (ou de structure).
« Cela demande la tenue d'une comptabilité analytique précise, ce qui se pratique peu », note Anne-Marie Schmutz. Il faut en effet pouvoir déterminer avec exactitude le coût de la production (semis, matériels...), de la transformation et du conditionnement (préparation, lavage, emballage...), du transport (amortissement des véhicules, carburant...), de la distribution (publicité, location d'un stand, etc.), du stockage, d'un site internet... Sans oublier le temps passé à la commercialisation.
« Il est impératif d'intégrer le coût de la main-d'oeuvre en fonction du temps passé, celui des salariés comme celui du chef d'exploitation, insiste Jacque Mathé, spécialiste des circuits courts au réseau CER France. Cette prise en compte du temps est primordiale, de la production à la vente, en passant par les tâches administratives, car le besoin de main-d'oeuvre en circuit court est beaucoup plus important que dans les systèmes classiques. »
A ce prix d'équilibre ainsi calculé, il convient d'ajouter une marge d'au moins 20 %. L'addition « coût + marge » donne le prix de base.
- Chiffrer les valeurs immatérielles. Le piège est d'arrêter ici son raisonnement, en ne prenant en compte que le coût de production majoré d'une marge aléatoire. Mais est-on sûr de vendre au bon prix ? Il ne faut pas négliger les valeurs complémentaires que le consommateur associe au produit et qu'il est prêt à rémunérer : l'appétence et l'originalité gustative, les qualités relationnelles du vendeur, le plaisir de faire son marché ou d'acheter directement à la ferme... « L'agriculteur qui vend un saucisson, par exemple, vend aussi son travail en plein air, l'entretien du territoire, la proximité, l'image de son terroir, un savoir-faire qu'il souhaite intégrer dans son prix », illustre la conseillère Anne-Marie Schmutz. On touche ici à l'imaginaire, à l'achat-plaisir. Tout l'enjeu étant de l'expliquer, de faire comprendre que l'on vend un produit différent de celui des autres. « Le consommateur en circuit court aime le bon rapport qualité-prix et la théâtralisation, assure Olivier Mevel, maître de conférences à l'université de Bretagne. Il faut lui en donner ! Raconter une belle histoire, mettre en avant le travail du producteur plutôt que les coûts de production... »
Reste le plus difficile : chiffrer toutes ces valeurs immatérielles et les incorporer dans le prix. « C'est un dosage fin entre ce que l'on vend aux clients et leur ressenti. A chacun de déterminer un prix selon sa situation propre, sans complexe et en sachant le justifier avec pédagogie », conseille Jacques Mathé. De son côté, Olivier Mevel suggère aux producteurs de revenir à « la base du marketing » pour analyser la valeur du produit : l'enquête. Encore faut-il pouvoir prendre le temps de l'exercice... Mais « connaître son client est un devoir », insiste l'universitaire. Une étude publiée en octobre 2014 par la chambre d'agriculture de Normandie a permis de dépeindre le profil des consommateurs en circuits courts sur ce territoire. On y apprend qu'ils associent largement les produits fermiers à l'idée de qualité et de confiance. « Ils ont plus de goût pour 92 % des acheteurs et comportent moins de risques pour 57 % d'entre eux », détaille l'enquête. Autant d'atouts à mettre en avant.
- Ne pas dépasser le prix psychologique. Fort de ces informations, le producteur qui entame une réflexion sur le chiffrage des valeurs immatérielles doit se demander quel prix le client est prêt à débourser. Ce que les économistes appellent « le prix psychologique ». Au-dessus de ce plafond, il fuit. En dessous, il doute de la qualité. Cet élément clé du comportement d'achat dépasse la question des capacités contributives (le pouvoir d'achat). Il dépend autant de la dimension concurrentielle que de l'attitude du producteur, c'est-à-dire sa capacité à mettre en scène ses ventes et à expliquer les valeurs véhiculées par ses produits. Le prix psychologique n'est évidemment pas le même d'un client à l'autre et est très lié au territoire. Ce qui implique un effort d'adaptation selon la zone de chalandise.
- Variations. La construction du prix réclame une attention particulière, car il est très difficile de corriger le tir en cas d'erreur. Le premier tarif présenté devient la référence pour le client. « Si on démarre trop bas, il faudra par la suite justifier de fortes hausses de tarifs », prévient Carine Montet, du réseau de points de vente collectifs Terre d'envies. Or le client fidèle pourrait mal percevoir une envolée brutale de son ticket de caisse... « En revanche, poursuit l'animatrice, une augmentation régulière permet d'absorber les variations des prix des intrants sur plusieurs années. » Des ajustements au fil des ans, pour coller aux évolutions des charges d'exploitations. « Mais toujours avec douceur », préconise François Bénéteau, producteur dans la Vienne (lire le reportage sur son exploitation, pages 34-35).
- Promotions. Une fois le prix fixé, connu et accepté de tous, des tarifs dégressifs peuvent être envisagés en fonction des quantités achetées. Une manière de récompenser les bons clients. Et en cas de réclamation ? Pour Jacques Mathé, « mieux vaut rattraper le coup en offrant quelques produits supplémentaires, plutôt que de proposer une remise sur le panier suivant ». Reste par ailleurs la question des promotions et des ristournes. Ces dernières sont généralement associées à un contexte de compétition par les prix, dans une logique concurrentielle : le vendeur met en place une action commerciale pour être plus compétitif que ses rivaux. En circuit court, les promotions seront plutôt utilisées pour écouler des volumes, notamment en cas de grosses récoltes de fruits et légumes. L'objectif est alors d'attirer de nouveaux clients, ceux qui n'auraient pas consommé en temps normal. Viennent ensuite les promotions événementielles, qui s'inscrivent dans une logique de communication, d'affichage. Il s'agit ici de profiter des périodes festives (Noël, Pâques...) pour attirer de nouveaux clients et fidéliser les anciens.