Emprunter, se restreindre sur les biens de consommation pour parvenir à la réalisation du désir qui habite tout un chacun : faire bâtir, avoir sa maison et s'isoler des autres par des clôtures en mur ou en végétation. Alors, lorsque le voisin fait état d'un droit de passage sur la propriété acquise, les hostilités sont déclarées et la justice est amenée à trancher.
Henri et sa femme, à force de visiter des agences immobilières, ont découvert le terrain de leurs rêves : vierge de tout voisinage. Les parcelles limitrophes se trouvent à l'état de friche. Ils achètent donc, font construire et clôturer au centimètre près leur domaine. Pendant les deux premières années, rien ne vient troubler leur quiétude. Jusqu'au jour où un visiteur, accompagné de techniciens pourvus d'appareils de mesure, vient délimiter la superficie du terrain en friche jouxtant le leur.
Droit de passage revendiqué
Tout va alors très vite. Les maçons commencent à construire et, surtout, Henri reçoit une lettre lui demandant d'ouvrir sa clôture pour permettre l'exercice d'un droit de passage sur la propriété au bénéfice de Didier, son nouveau voisin. A cette prétention, Henri donne en réponse qu'au moment de l'achat son acte ne mentionnait aucune servitude au profit de qui que ce soit. Il est donc inévitable que le différend soit porté devant le tribunal. En tant que défendeur, la position d'Henri paraît solide. Il a acquis un terrain déclaré libre de toute servitude et il n'a donc pas à en supporter. De son côté, Didier, le demandeur, produit des actes anciens qu'il estime probants. Un acte de partage, qui remonte à 1908, et comprend la parcelle qu'il vient d'acquérir, mentionne une servitude de passage de fond aujourd'hui propriété d'Henri. Il a donc un titre. A l'époque peut-être... Car jusqu'au décret du 4 janvier 1955, la transcription de l'acte, créateur de servitude, n'était pas indispensable. Il suffisait qu'un acte faisant mention de la servitude soit transmis aux hypothèques pour qu'elle soit opposable aux tiers. Mais depuis ce décret, l'acte constituant la servitude doit être publié à la conservation des hypothèques. Sa simple mention dans un acte publié lui-même ne suffit plus pour rendre la servitude opposable. En conséquence, Henri ne peut se voir imposer une servitude de passage au profit de Didier.
Servitudes conventionnelles à enregistrer
Cette affaire est exemplaire et de nature à se présenter dans de multiples occasions. Lorsqu'un propriétaire revendique l'exercice d'une servitude sur le fond d'un autre, comment résoudre la difficulté ? L'arrêt de la Cour de cassation, intervenu entre Henri et Didier, doit servir de fil conducteur grâce aux affirmations qu'il pose. Les servitudes conventionnelles, c'est-à-dire résultant d'une convention, ne sont opposables au propriétaire du terrain qui doit supporter la servitude que si elle est mentionnée dans l'acte de celui qui aura à la supporter, car il l'a acquis avec la connaissance de la restriction à ses droits. A défaut de cette mention dans son acte, comme c'était le cas pour Henri, il ne devra supporter la servitude que si l'acte constitutif de la servitude a été publié en tant que tel à la conservation des hypothèques. Un acte de mutation intervenu chez les auteurs du prétendu bénéficiaire de la servitude, même s'il en a mentionné l'existence, ne suffit pas à la rendre opposable à celui à qui on veut l'imposer.
En pratique, celui qui invoque une servitude à son profit sur le fonds d'autrui doit produire l'acte constitutif de la servitude qui peut du reste remonter loin dans le temps et surtout la preuve que cet acte a été publié in extenso sur les registres de la conservation des hypothèques. Et il ne suffit pas qu'il en soit fait mention dans un acte intervenu au profit du demandeur à la servitude.