Paul avait décidé de vendre sa propriété uniquement à Joachim, son voisin. Depuis des mois, ils s'étaient entendus à ce sujet. La Safer, informée et opposée à cette cession à Joachim, déjà largement pourvu en terres, veillait. Cela, Paul le savait. Ainsi, il fut prévu dans le compromis conclu entre Paul et Joachim que la vente ne sortirait pas à effet si la Safer préemptait, ce que l'on qualifie de clause suspensive de non-préemption par la Safer. En effet, Paul préférait ne pas vendre plutôt que de céder à la Safer, qui risquait de lui contester le prix convenu avec Joachim.
Clause suspensive
Logiquement, le notaire de Paul notifie à la Safer le projet de vente avec la clause suspensive de non-préemption. Dès réception, la Safer a exercé le droit de préemption. Bien ancré dans son projet et se fondant sur la clause suspensive, Paul a retiré le bien de la vente. S'il était obstiné, la Safer l'était également. Elle estimait que par le fait de son acceptation, la vente était parfaite. Aussi, elle a fait convoquer Paul devant le tribunal de grande instance (TGI), pour s'entendre condamner à venir signer l'acte authentique sous astreinte. Pas question pour Paul de s'incliner: il a répondu par une demande de nullité de la préemption. Il était certain de son moyen principal, tiré de la clause suspensive. Mais, par précaution, il a commencé par faire valoir la nullité de la notification du notaire, en soutenant que la notification faisait état d'une parcelle ER 954 de 1,46 ha, alors que le compromis mentionnait la parcelle 314 pour 1,86 ha. A cette argumentation, les juges répondront que l'erreur ainsi commise ne pouvait entraîner la nullité de la déclaration d'intention d'aliéner.
Obligé de vendre
L'argument principal n'était pas là. L'essentiel pour Paul était la présence dans le compromis de la clause suspensive de non-exercice du droit de préemption de la Safer. Il en résultait qu'il suffisait que la Safer préempte pour que l'intention de vendre disparaisse. C'est la conséquence que Paul en avait tiré: il ne vendait plus puisque la Safer préemptait. C'est à partir de là que la décision rendue par la cour d'appel, approuvée également par la Cour de cassation, va prendre son intérêt. Il est admis que si le vendeur d'une propriété louée insère dans le compromis de vente la clause suspensive de non-exercice du droit de préemption par le preneur, celui-ci ne peut, à réception de la déclaration d'intention d'aliéner, invoquer son droit de préemption. Mais la loi du 29 décembre 1977 en matière de Safer, créant l'article L. 143-5 du code rural, décide que la clause insérée dans une vente sous réserve de la non-préemption par la Safer est réputée non écrite, sauf s'il s'agit d'un apport à une société ou d'un échange. En l'espèce, la clause prévue par le notaire du vendeur ne pouvait sortir à effet et ne faisait pas obstacle à la préemption de la Safer.
Têtu, Paul soutenait que si la notification contenait une clause suspensive prohibée, elle était nulle. Telle n'a pas été l'opinion des juges: aux termes de la loi, la clause suspensive était réputée non écrite dans la déclaration d'intention d'aliéner. Ainsi, elle n'entachait pas la valeur de cette notification, et validait la préemption.