En cette fin septembre, une légère odeur de pain grillé règne dans la chaufferie de Didier Lambin. Précoce, la saison a déjà démarré avec un combustible pour le moins original: du blé récolté sur ses propres terres. Installé sur 250 hectares, ce céréalier de Coupéville (Marne) entame sa troisième campagne avec une chaudière polycombustible, capable également de brûler du bois (plaquettes, copeaux, sciure), des granulés, des coquilles de noix, des noyaux d'olives et bien sûr d'autres céréales comme le maïs (1), l'orge... "Si demain le prix du blé remontait, je pourrais basculer vers d'autres sources d'énergie peu coûteuses", souligne-t-il. Mais depuis trois ans, il fonctionne à 100% avec du blé. A sa plus grande satisfaction.

Pendant vingt-sept ans, Didier Lambin et sa femme ont utilisé une chaudière à bûches, avec les contraintes quotidiennes d'approvisionnement. Et lorsque la question du renouvellement s'est posée, c'est vers cette source d'énergie qu'ils se sont naturellement tournés, avec le projet de recourir à des plaquettes de bois issues de leurs parcelles (taillis non commercialisables). Mais ils se sont vite heurtés au coût élevé de la déchiqueteuse et au stockage des plaquettes. Au cours de leurs recherches sur le bois, ils ont finalement découvert un modèle polyvalent, fabriqué en Corrèze par Energie Système (2) et capable de fournir une puissance modulable selon la demande de chaleur (de 2 à 40 kW). La chaudière en question dispose d'une trémie de stockage de 1.100 litres (de 800 à 900 kg de blé) procurant au moins trois semaines d'autonomie, elle-même approvisionnée par une vis à grain de récupération avec une "adaptation maison". Le désilage du blé se fait par un extracteur à disques, puis par une vis sans fin horizontale qui amène le grain au coeur du brûleur. "La durée d'alimentation est réglable par minuterie. Actuellement, la vis fonctionne 2 secondes pour 10 secondes d'arrêt", explique Didier Lambin. Le décendrage s'opère automatiquement par une vis sans fin. "Le blé a une propension à faire des cendres beaucoup plus fines et moins volumineuses que le bois", précise-t-il. L'entretien est, selon lui, limité et peu contraignant. Une fois par mois environ, il faut vider le réservoir de cendres, ôter les tiges verticales des "turbulateurs" qui servent au recyclage des fumées et passer l'aspirateur à l'intérieur. Finalement, l'agriculteur estime bénéficier d'un confort d'utilisation proche du fioul.

"Les composants électriques sont des produits courants du commerce faciles à trouver (Télémécanique). Rien de bien sophistiqué." Et pour illustrer cet état d'esprit, il précise qu'un simple décapeur thermique (et non une sonde à 1.500 F comme sur certains modèles), permet de chauffer le blé lors du premier démarrage de la saison.

Le blé utilisé provient, bien sûr, de variétés fourragères, en l'occurence Ritmo. Il doit être passé au nettoyeur car les balles ont tendance à être aspirées par les extracteurs de fumée. Le gros intérêt du blé, c'est que le stockage existe déjà sur l'exploitation. A raison de 38 kg par jour, Didier Lambin a consommé 96 quintaux de blé lors de la campagne de chauffe de 2000-2001 (du 1er octobre au 31 mai). Soit un coût total de 5.171 F pour chauffer une maison de 170 m² (300 m³ de volume) et fournir de l'eau chaude à toute la maisonnée pendant huit mois de l'année (3). Sur le plan comptable, le blé a été déclaré en autoconsommation.

Interrogé sur le fait que certaines personnes seront choquées d'apprendre que l'on brûle désormais du blé dans les chaudières, Didier Lambin répond de façon pragmatique: "Le blé, c'est aussi une énergie renouvelable. Depuis plusieurs années déjà, il est cultivé en France sur jachère pour produire de l'éthanol carburant. Ce n'est pas plus idiot de se chauffer au blé que d'utiliser de l'électricité provenant du nucléaire..." Ajoutons que si le blé est devenu un combustible économique, c'est aussi parce que les pouvoirs publics ont fait chuter de moitié sa valeur en l'espace de dix ans, par le biais de deux réformes de la Pac. Donc, que l'on ne s'étonne pas aujourd'hui de le voir partir en fumée...

(1) Le maïs a un pouvoir calorifique supérieur au blé, mais présente l'inconvénient de devoir être séché.

(2) Energie Système 19430 St-Julien-Le Pellerin. Tél.: 05.55.28.70.41. Baxi SA, (chaudières danoises HS) à Bischoffsheim (67). Tél.: 03.88.49.27.57 propose aussi des chaudières fonctionnant au blé. Il existe également des poêles à céréales (22.000 F TTC, 50 kg d'autonomie) pour une surface allant jusqu'à 140 m², fabriqués en Savoie par Pagnod Industrie 74250 Viuz-en-Sallaz. Tél.: 04.50.36.81.90. L'Ademe distribue des subventions (de 0 à 60 % suivant les régions), mais seulement pour les chaudières polycombustible... fonctionnant au bois!

(3) Le reste du temps, le chauffe-eau fonctionne à l'électricité.