«Petit pays, je t’aime beaucoup. » Cette chanson de Césaria Evora dédiée au Cap Vert, sa terre natale, doit parler à ceux qui ont inventé la coopérative de territoire, « Les Fermes de Figeac ». Créée en 1985 sous le nom de Caseli (Coopérative d’approvisionnement du Ségala-Limargue), dans le Lot, elle résulte de la fusion de deux coopératives cantonales menacées de disparition. Les agriculteurs de ce territoire excentré ne voulaient pas voir s’éloigner leurs points d’approvisionnement. D’autant que, depuis les années 1970, cette région qui fut pauvre a connu un développement « à la bretonne », axé sur le lait : les fermes de 12 ha consacrées au tabac, à la fraise et aux semences ont cédé la place à des exploitations de 70 ha.

Priorité à l’animation

Dès la création de la Caseli, Dominique Olivier assure la direction de la coopérative. « Nous avons recruté des conseillers agricoles. Très vite, l’animation de notre territoire est devenue notre priorité : les gens sont acteurs lorsqu’ils se sentent appartenir à un lieu. »

La coopérative concentre son activité dans un rayon de 20 kilomètres autour de son siège, Lacapelle-Marival. Elle couvre 80 000 ha qui se partagent entre bois et prairies, ne concédant que 6 000 ha aux cultures. En 1991, elle proclame son ouverture en devenant une Sica (société d’intérêt coopératif agricole) afin de travailler avec des non-adhérents. La Caseli devient « Sicaseli ». Cette étape l’amène tout naturellement vers les circuits courts. Ce sera la création d’un premier espace de produits régionaux proposés dans le magasin Gamm Vert de Figeac. Cinq autres suivront. Aujourd’hui, ces produits génèrent 5 millions de chiffre d’affaires.

Ajouter des activités

En 2011, la Sicaseli, estimant son sigle illisible pour les habitants, décide de se faire appeler « Les Fermes de Figeac ». Pierre Lafragette en est l’actuel président : « Nous ajoutons au territoire sans exclure personne. Nous travaillons avec l’agriculture conventionnelle et bio, avec les filières verticales (mon exploitation livre son lait à Sodiaal) et avec les circuits courts. » Installé avec son frère, il élève en réseau, avec trois autres Gaec, des vaches à lait, des bovins viande et des canards prêts à gaver. Il estime que son quatrième métier est l’aménagement du territoire. « Nous rendons des services ruraux à la société, prestations rémunérées par les soutiens de la Pac. Nous sommes gestionnaires de la nature, de l’eau, et en mesure de développer des activités profitables à tous. La Sicaseli rassemble, anime, forme et aide à l’innovation. »

Pour preuve, la multiplication des dossiers dans lesquelles la coopérative de territoire, comme elle aime à s’appeler, s’est investie : création d’une Cuma « Lot environnement » aux côtés des Cuma locales ; mise en place de la Boucherie des éleveurs du Pays de Figeac au sein des Gamm Vert ; prise de participation dans la nouvelle société « Ségala agriculture et énergie solaire ». Le directeur, Dominique Olivier, poursuit : « Nous avons repris des activités indispensables mais menacées de disparition par l’obsolescence ou l’absence de repreneur : des ateliers de mécanique, une scierie, un distributeur de matériaux de construction. » Au total, Les Fermes de Figeac, qui comptent 650 agriculteurs adhérents, emploient 160 personnes, dont onze conseillers au service « Énergie ».

L’énergie du Pays

« Nous avons le sol mais aussi l’eau, le soleil, le vent, reprend Dominique Olivier. Après des visites en Allemagne, nous avons travaillé la question de l’énergie solaire. Depuis 2011, nous avons accompagné la pose de 400 toits photovoltaïques dans les exploitations et la création d’une ferme éolienne. Nous avons levé 2 millions d’épargne locale en trois mois, auprès de 180 personnes, pour créer cette ferme. Ces démarches collectives ont mobilisé le territoire. Nous avons actuellement trois projets de méthanisation en cours. »

La Sicaseli initie des audits de territoire et travaille avec le Pays de Figeac. Dominique Olivier s’explique : « Les agriculteurs représentent seulement 9 % de la population active. Le Pays nous met en contact avec les autres acteurs locaux. » Pierre Lafragette acquiesce : « C’est indispensable d’avoir des lieux pour confronter nos idées et continuer à innover. »

Débattre en proximité

L’aéronautique, qui se développe à Figeac depuis vingt-cinq ans, assure l’essentiel des nouveaux emplois du secteur. « Dans vingt-cinq ans, où en sera-t-elle, s’interroge Pierre Lafragette ? L’agriculture sera toujours là. Aujourd’hui, nous nous posons la question de la création d’une coopérative foncière. Sinon, comment « vendre » notre territoire et les structures qui se libèrent aux jeunes ? Le marché seul ne peut pas résoudre ces questions. Comment rompre l’isolement sur les fermes pour que les nouvelles générations soient attirées par le métier ? Les jeunes sont les mêmes à la campagne et à la ville. Ils recherchent du lien. » L’agriculteur estime que, sur les questions d’avenir, il faudra une animation « multi-acteurs ». Mais une inquiétude grandit : l’intercommunalité « Grand Figeac », qui a absorbé le Pays de Figeac, réunit 92 communes depuis janvier 2017. « La capitale de la nouvelle région est à trois heures d’ici. L’intercommunalité devra pratiquer la subsidiarité pour laisser vivre les lieux proches des habitants », prévient Pierre Lafragette.