« On n’a jamais eu une aussi grande dynamique de création de projets et de start-ups en agriculture. Pourtant, on reste faible sur la phase d’accélération, constate Nicolas Ferras, directeur général d’InVivo Invest, un fonds privé d’investissement affecté aux start-ups de l’AgTech et Foodtech. Peu de boîtes sont parvenues à émerger depuis trois ans : comment passer d’un marché de 10 agriculteurs à 10 000 ? Pour cela, on a encore du mal. »
Premier bilan
Une conférence, organisée le 19 septembre 2017 à Paris par le groupe de réflexion Saf Agr’idées, a permis d’établir un premier bilan de l’AgTech en France. Et d’observer que si les nouvelles technologies se sont emparées du secteur, l’inverse ne se vérifie pas encore. La profession, bien que qualifiée d’ultraconnectée, peine en effet à s’approprier ces innovations et à exploiter ses données.
Si l’AgTech est une évidence pour certains, d’autres se montrent très rétifs. « Cela dépend de leurs besoins, de leurs moyens, de leur ouverture au changement et de leur degré de technophilie », retient le groupe de travail en charge des usages du big-data (mégadonnées) en agriculture, mis en place par le think-tank en 2015. « Il faut que la puissance de la technologie soit un outil au service de la production agricole, et non pas la finalité », ajoute Nicolas Ferras.
Big-data versus Telepac
« Tu me fais rire avec tes big-data, quand on a un logiciel Telepac qui n’est même pas en mesure d’apporter les aides en temps et en heure. » L’oncle de Pierre Poullain, exploitant dans les Mauges, dans le Maine-et-Loire, témoigne de ce décalage entre les milliards d’euros investis dans les jeunes pousses de l’AgTech et les réels besoins des agriculteurs : « Moi, ce qui m’inquiète, c’est ton cousin qui n’arrive pas à avoir son prêt bancaire pour s’installer, c’est aussi la charge administrative qui m’attend.
Cette expérience a été décisive pour Pierre Poullain. L’ancien directeur adjoint de la Fédération nationale bovine (FNB) est persuadé que le numérique peut, au contraire, répondre aux préoccupations de son oncle, et lui garantir un retour sur investissement. C’est la raison pour laquelle, avec Fabrizio Delage Paganini, ancien responsable de la partie Smart agriculture chez l’opérateur télécom Sigfox, il a ouvert le cabinet « Valeur-Tech ». Une première en France, alors que ce type de cabinet, qui conseille coopératives, négoces et groupes d’agriculteurs, est déjà bien connu en Europe et Outre-Atlantique.
Aider à la prise en main
« L’idée, c’est de transformer tout ce potentiel de technologies en valeur pour les acteurs », poursuit Pierre Poullain. C’est-à-dire de faire en sorte d’adapter les innovations proposées, aux besoins et aux moyens des exploitants. Valeur-Tech aide à la mise en place d’une stratégie, en combinant les outils, et à leur prise en main : « La vraie question n’est pas de savoir ce qu’une technologie peut apporter, mais comment l’agriculteur va la percevoir et s’en emparer, ou pas, précise Fabrizio Delage Paganini. Des outils n’ont pas fonctionné par le passé, parce que, par exemple, les agriculteurs ont eu peur d’être fliqués ou encore de perdre leurs aides Pac… On consacre beaucoup d’intérêt à l’innovation, très peu à l’adoption des nouveaux outils ».
Pierre Poullain et Fabrizio Delage Paganini viennent d’ouvrir le premier cabinet conseils, affecté à l’AgTech. © R. Aries/GFA
Le cabinet qui ne s’adresse pas pour le moment aux agriculteurs seuls note parmi les demandes régulières : la volonté des exploitants de mieux informer les consommateurs, en vue de négocier en conséquence leur prix de vente, mais aussi les outils à mobiliser pour mieux gérer un parcellaire. « Nous sommes indépendants. Si les solutions françaises ne conviennent pas, nous mobiliserons un outil israélien, australien, etc., la solution la plus opérante et la moins chère ».
Une transition plutôt qu’une révolution
La Commission européenne a récemment expliqué qu’elle planche sur la nécessité de démocratiser l’ensemble des nouvelles technologies de l’AgTech et de les rendre accessibles à tous. Une orientation qu’elle souhaite inscrire dans la future Pac en renforçant le conseil et les investissements. « Assurer la transparence des données sera aussi indispensable », estime Pierre Poullain, pour donner confiance aux agriculteurs dans ces nouvelles technologies.
« En agriculture, on est dans un marché très structuré avec des acteurs présents qui veillent, et un contexte réglementaire très fort, reprend Nicolas Ferras, d’InVivo Invest. On n’est peut-être pas dans un modèle de disruption numérique comme dans les autres secteurs, mais plus dans un modèle d’insertion et d’évolution. Ça prendra probablement plus de temps… » Le temps d’une transition plutôt que celle d’une révolution, résume Saf Agr’idées dans une note de travail qui vient de paraître sur le numérique agricole.