Dans la cour de ferme goudronnée, les camions affluent de toute l’Europe. Mathieu Bourgeot note le détail du chargement du pont-bascule sur son ordinateur. Le camion, rempli de pommes de terre, part pour l’Espagne. L’agriculteur de quarante-trois ans, ingénieur en mécanique et en management, est plutôt serein après douze ans à la tête de l’exploitation familiale à Theuville (Eure-et-Loir). La commercialisation, c’est son dada. « Nous sommes comme des traders à la bourse, dit-il. Nous ne décidons pas de notre prix, mais nous décidons de nous positionner ou pas. Je m’appuie sur trois piliers : ma trésorerie disponible, ma capacité de stockage, et la qualité. » De nature optimiste, Mathieu ne se définit pas comme un joueur, mais comme un pragmatique.

Tout commence aux champs, par le choix variétal. Pour le blé tendre, le céréalier dédie 10 % de sa surface à la production de ses semences fermières et à un périmètre d’essais. Il sème cinq à six variétés, dont deux nouvelles chaque année. « Je les choisis en fonction des résultats d’essais du secteur et de la demande des acheteurs, explique-t-il. J’appelle les meuniers en juin, afin de savoir ce dont ils auront besoin l’année prochaine. Mais leurs demandes futures correspondent rarement ! »

Pour cette campagne, Mathieu a semé du blé Boregar, Rebelde, Sacramento et Galibier, et deux en test, Nara et Chevignon. Les semences sont stockées dans des petites bennes. Si l’essai n’est pas concluant, elles sont commercialisées avec le blé.

Prix en tête pour la campagne

Tout au long du cycle du blé, la rigueur est de mise pour obtenir une qualité supérieure. Fractionnement en quatre apports de l’azote, observations régulières des maladies et des ravageurs… L’agriculteur suit ses cultures de près, quitte à passer du temps et à augmenter ses charges opérationnelles : « La qualité, c’est notre force par rapport à un acheteur. Mais elle dépend beaucoup de la météo… » À cause de cette inconnue, le céréalier préfère ne pas effectuer de contrat avant moisson.

Les récoltes sont stockées à 100 % dans un bâtiment datant des années 1960. Avec sept cellules et une capacité totale de 10 500 quintaux, la seule contrainte est de libérer une cellule de blé avant l’arrivée du maïs. Pour la commercialisation, Mathieu n’a pas de date précise, mis à part pour le maïs, où il privilégie plutôt le mois d’août. Il vend en fonction de ses besoins en trésorerie et, surtout, de l’évolution du marché.

Lors de la moisson, il table sur un prix, et vend quand le marché l’atteint. « Pour le blé de 2018-2019, je me suis fixé 200 €/t. Le marché ne l’a jamais atteint, donc j’en ai encore ! », sourit-il. La plupart du temps, le céréalier « accompagne le marché », c’est-à-dire qu’il vend à la première baisse après une série de hausses. Afin de dénicher les bons prix, il n’hésite pas à prendre son téléphone. « Je lis les différentes analyses d’Agritel, du ComparateurAgricole, des journaux…, confie Mathieu. Puis, j’envoie un SMS à quatre ou cinq acheteurs potentiels. »

Quant à la récolte 2018, il a vendu du blé tendre à Axéréal, à la Scael et à Soufflet, entre 180 et 185 €/t, et du blé de force pour la meunerie à deux négociants locaux, entre 212 et 218 €/t. Et du maïs au négociant Vertumne, à 171 €/t.

Il y a deux ans, le céréalier a testé le marché à terme. Mais, comme pour les contrats, cela ne le rassure pas : « C’est difficile à suivre. Je préfère vendre en physique, et ne plus regarder les cours une fois que j’ai tout commercialisé. »

Le chef d’entreprise n’a pas le sentiment de consacrer beaucoup de temps à la commercialisation. « Je regarde tous les jours, mais pas de façon régulière », dit-il. Bien qu’il ne se fonde pas sur son coût de revient pour vendre, Mathieu le connaît parfaitement. Il détermine la rentabilité des cultures et n’hésite pas à faire évoluer son assolement. Il y a quelques années, il a arrêté de produire du blé dur et, il y a deux ans du colza, pour se consacrer aux pommes de terre, aux oignons et aux porte-graines. À la recherche de nouvelles cultures, il est cependant limité par le volume d’irrigation attribué. Il regarde davantage vers d’autres diversifications, comme le stockage pour des tiers, la production de blés anciens pour des meuniers, la vente en circuit court de pommes de terre ou la production bio… Laquelle sera la plus rentable ?

Aude Richard