La perte d’une unité de main-d’œuvre, le ras-le-bol de rajouter de la chimie pour garder du potentiel et des marges et l’envol des coûts de désherbage ont convaincu Thierry Beauvais de remettre en cause ses pratiques. Après avoir abandonné le labour, en 2005, puis opté pour les TCS, l’agriculteur nivernais, installé à Pougny, a fait un pas supplémentaire vers l’agriculture de conservation. Non sans passer quelques nuits sans sommeil. Depuis cet automne, 100 % de ses cultures sont implantées sous couvert, ou associées à des plantes compagnes.
Le type de couvert varie selon les cultures. Le colza est ainsi utilisé pour introduire des couverts permanents (lotier, luzerne, trèfle) dans lesquels les céréales d’hiver seront semées l’automne suivant. Ces couverts, cultivés dans le cadre de contrats semences, resteront en place trois ans en moyenne. Les cultures de printemps sont implantées sur des couverts annuels, détruits par le gel ou par le glyphosate.
L’agriculteur tient également compte des débouchés. Il évite ainsi de semer ses légumineuses ou ses lentilles dans un couvert sensible à l’Aphanomyces (pourriture racinaire), pour ne pas amener cette maladie dans ses cultures sous contrat. Par ailleurs, il reste vigilant sur le coût. En interculture, le sorgho, la phacélie, la moutarde d’Abyssinie, le trèfle d’Alexandrie, la féverole, le tournesol et le radis chinois ont été achetés en commun dans le cadre du GIEE Magellan (lire encadré), 30 €/ha environ. Mais l’agriculteur privilégie, quand c’est possible, des couverts peu onéreux. « Derrière les cultures de légumineuses, je déchaume sur deux centimètres, pour faire germer les graines et avoir un couvert à bas coût. » L’exploitant a acheté cinq vaches rustiques écossaises, des Highland cattle, pour faire pâturer les couverts l’hiver et détruire les limaces. L’objectif est d’avoir une quinzaine de bêtes.
Assolement diversifié
Initié il y a deux ans, le passage au semis direct sous couvert a été préparé progressivement. « Depuis dix ans, je ramène beaucoup de matière organique dans mes sols », précise Thierry. Du compost de lisier de porc breton est épandu à raison de 3 t/ha, tous les deux ou trois ans.
Depuis quatre ans, l’assolement s’est allongé et diversifié : aux blé, orge, colza, initialement cultivés sur les deux tiers non irrigables de l’exploitation, et aux blé, orge printemps, maïs, implantés sur le tiers restant irrigable, se sont rajoutés les radis, féveroles, lentilles, soja, tournesol, avoine brésilienne, semences fourragères. « La difficulté, note le céréalier est de trouver les contrats fiables. Il faut se battre avec les distributeurs. »
Un Sky à disque remplace le Terrano
Le parc matériel a été adapté. Les parts que l’agriculteur détenait dans un Terrano ont été cédées, ainsi que la charrue et la plupart des outils gratte-sol (déchaumeur, vibroculteur…). Un semoir de semis direct à trois cuves, un Sky à disques, en 6 mètres, a été acheté. « C’est un gros investissement, de 80 000 €, convient Thierry. Mais ses utilisations sont multiples : je peux semer les maïs en double rang, fermer une partie des rangs, semer différents mélanges de plantes ou de couverts tels que du maïs et du tournesol, incorporer de l’engrais au semis. C’est une pratique indispensable en semis direct sous couvert. » L’agriculteur a également investi dans un nouveau rouleau, plus adapté. « Il est important de bien aplatir les bandes derrière la roue du semoir, pour éviter qu’elles ne se transforment en autoroute à limaces », précise-t-il.
Sur le plan économique, il est encore trop tôt pour tirer un bilan, d’autant plus que les conditions climatiques de ces deux dernières années ont été exceptionnelles : les blés n’ont fait que 48 q/ha en 2016, et 55 q/ha en 2017, à cause d’un important échaudage.
Pour retrouver des marges, l’exploitant mise sur la réduction des charges de mécanisation. Il a diminué de moitié sa consommation de carburant et limité l’usure de ses outils. Il compte aussi réduire sa puissance de traction. Des économies sont également envisageables sur les herbicides. « Après trois ans d’expérience en semis direct avec des légumineuses et des cultures de printemps dans la rotation, des collègues du GIEE ont enregistré une réduction notable de leurs achats », affirme l’agriculteur.
Thierry Beauvais compte développer son semis direct sous couvert en intégrant des doubles cultures, telles que soja-tournesol, blé-féverole, blé-radis chinois, voire colza-fenugrec, lotier, vesce, sarrazin. « Ici, les terrains se dessèchent très vite, note-t-il. La charrue ne descend pas à plus de 10-15 cm, le décompacteur ne passe pas. Pourquoi dans ces conditions s’obstiner à gratter la terre ? Mieux vaut laisser travailler les micro-organismes du sol. »