N’est pas start-up qui veut. Pour être considérée comme telle, il faut innover et pas seulement inventer. Ce qui signifie qu’il faut trouver l’idée qui parvient à bousculer un marché pour toujours et à faire exploser des monopoles très rapidement. Ce qui la distingue d’une nouvelle entreprise.
Mais l’engouement pour ces jeunes pousses, lié au fantasme du « geek » ultramoderne jonglant avec des millions, a fait tourner des têtes. Et de nombreux entrepreneurs se sont à tort proclamés « start-upers », entraînant une confusion entre les genres.
10 à 20 % d’adeptes
En agriculture, la tendance est inverse : les Agtech font tout pour cacher l’étiquette. À raison car, si 10 à 20 % des agriculteurs passent aujourd’hui par elles, pour la plupart, la peur qu’elles capotent est souvent plus forte que l’envie d’y recourir.
Plus en détail, face aux Agtech, les agriculteurs ont trois types de comportement, a évalué Farmleap, l’inventeur du Ceta* numérique, en interrogeant une quarantaine d’exploitants : les premiers, traditionnels, s’opposent aux innovations et à tout type d’évolution. Les deuxièmes, gestionnaires et prudents, s’y intéressent sans s’en emparer. Et les derniers, les développeurs, s’y engagent pleinement : les uns se focalisant sur le marché (intrants) et les autres ciblant la technique et la spécialisation (les circuits courts en particulier).
Toutefois, les crises successives, y compris celle institutionnelle, bousculent ces habitudes. Et les start-ups viennent à compter de plus en plus d’agriculteurs à la recherche d’une meilleure rentabilité ou d’un nouveau tiers de confiance. C’est aussi l’autonomie et la transparence attendue sur les prix qui les convainquent.
Pourtant ce ne sont pas les plus acculés qui y recourent en premier. Car les « market place », les places de marché en ligne qui proposent engrais, semences et pièces de matériels à des prix souvent plus bas que ceux des acteurs traditionnels, ont le défaut de demander un paiement à la livraison, quand des coopératives repoussent l’échéance. Pour y parer, Agriconomie s’apprête notamment à sortir un paiement en ligne en plusieurs fois, et à des taux réduits, sur ses produits.
L’autre frein majeur de l’achat en ligne en agriculture est lié au montant des transactions : payer un camion d’engrais 10 000 euros ne peut se faire par carte bancaire. Mais l’obstacle s’apprête là aussi à être levé : lors du dernier Sima, les banques, notamment le Crédit agricole et le Crédit mutuel, ont fait part de leur intention de s’aligner, en créant un nouveau système pour l’achat en ligne, sans en dévoiler la teneur.
En attendant, pour certains, l’entrave n’a jamais existé : les paniers des plus gros acheteurs sur les marchés agricoles en ligne sont évalués à 400 000 euros par an.
Plus de 150 hectares
L’étude des utilisateurs d’une vingtaine de start-ups permet d’en dresser un profil type : ces agriculteurs ont en moyenne 45 ans. Céréaliers sur des exploitations de plus de 150 hectares, ils privilégient les nouvelles pousses dédiées à l’e-commerce ou susceptibles de les aider à la commercialisation de leur grain. Agriculteurs ultraconnectés, ils disposent déjà d’outils d’aide à la décision. Peu sont syndiqués : ils vont plutôt plébisciter les collectifs indépendants comme les Ceta ou les Geda, tout en restant en relation avec leur coopérative.
Certains poussent le bouchon de l’indépendance plus loin. C’est le cas de Hugues Oudeyer. Sur une exploitation de 300 ha dans le sud de l’Eure-et-Loir, il produit du blé, du colza et du maïs. Depuis 2016, il commercialise 75 % de sa récolte avec comparateuragricole.com. Cette start-up permet aux agriculteurs de comparer en ligne les meilleures offres agricoles et de vendre leurs céréales au meilleur prix. « J’en avais marre de passer cinquante coups de fil pour vendre quatre camions de blé. Le site propose des cotations tous les jours. C’est un gain de temps considérable. »
S’il a beaucoup travaillé avec les coopératives jusqu’en 1995, le manque de transparence sur les prix l’en a détourné. Il n’adhère pas non plus à un centre de gestion mais travaille avec une dizaine d’agriculteurs regroupés dans un Ceta indépendant. Il se dit prêt à aller vers d’autres start-ups, « du moment que c’est opérationnel », et se penche désormais du côté des capteurs connectés. « Ce que je recherche, résume-t-il, c’est moins de conseils et plus d’aide à la décision. »
*Centre d’étude technique agricole.