«Depuis tout petit, je collectionne les figurines agricoles. À 5 ans, j’ai reçu une vache en aluminium de marque Quiralu que j’ai appelée Bavette. Je l’emportais partout. À 21 ans, à l’automne 1955, j’ai quitté la Corrèze et mes vaches pour le service militaire. Je suis allé d’abord en région parisienne. Mais pour me punir d’avoir bravé les ordres lors d’une grande manœuvre, le général en chef m’a envoyé en Algérie.

Le 4 juillet 1956, j’ai entamé un voyage vers Marseille dans des wagons à bestiaux verrouillés de l’extérieur. Juste avant d’embarquer sur le paquebot le Kairouan, j’ai eu le temps d’acheter deux livres : L’Étranger de Camus et Le Petit Prince de Saint-Exupéry. Leur lecture m’a porté tout au long de cette guerre. Arrivé à Alger, j’ai été conduit dans une maison où j’ai découvert l’horreur humaine, la cruauté, le sadisme… Quand j’y repense, les larmes me montent aux yeux. J’y ai passé les pires jours de ma vie mais j’ai catégoriquement refusé de participer aux tortures. Heureusement, j’ai pu rapidement rejoindre la compagnie du capitaine Joseph Lacabe, qui dépendait du 131e régiment d’infanterie.

Un jour, nous étions en opération, une trentaine d’hommes marchant en file dans les collines. Le soleil frappait fort et m’aveuglait. Tout à coup, je me suis écroulé avec une vive douleur au niveau du cœur. J’étouffais. Mon galon de sergent en laiton brillant m’avait transformé en point de mire et des fellaghas m’avaient tiré dessus. Mes gars se sont aussitôt placés en essaim. Mon second est venu près de moi et, à sa grande surprise, n’a découvert aucune trace de sang. Ma petite vache Quiralu et ma carte d’état-major, qui se trouvaient dans ma poche, avaient arrêté la balle ! L’un des gars m’a fait boire une fiole de cognac pour me remettre debout. Après cette histoire, Bavette est devenue le grigri de tous les hommes de ma section. Ils pensaient que j’avais la “baraka”. J’ai ensuite été transféré à d’autres postes. J’ai notamment été chargé du dressage d’une douzaine de mulets pour les entraîner à supporter les opérations du feu. La fin de mon service approchait et, au bout de vingt-huit mois, je suis rentré chez moi.

Depuis, ma Bavette porte-bonheur ne m’a jamais quitté. Aujourd’hui encore, je la garde précieusement. On peut voir sur son flanc l’impact de la balle 7,65 que je conserve aussi avec elle. » Propos recueillis par Raphaëlle Saint-Pierre