La voix posée, Étienne Laude évoque la culpabilité qu’il a ressentie en apprenant, en janvier 2021, le décès d’un ami agriculteur. « Il s’est donné la mort six mois après avoir provoqué un accident de la route inhérent à une seconde d’inattention », relate le producteur de plants de pommes de terre, à Sailly-lez-Cambrai (Nord). Depuis, il a suivi une formation de « sentinelle » pour repérer ses collègues en souffrance. Toute une journée, avec six autres stagiaires, il a bénéficié des conseils de deux psychologues.

Dans l’empathie, pas dans la sympathie

L’homme, âgé de 53 ans, a rejoint ses deux frères en 1995 sur la ferme familiale, après avoir enseigné en lycée agricole. Titulaire d’un BTS IAA et spécialisation informatique industrielle, il y a rapidement trouvé sa place. Cet administrateur de la caisse de MSA Nord-Pas-de-Calais insiste : « La vigie n’est pas un sauveur, ni un super héros, c’est une personne attentive aux autres, qui sait écouter et comprendre. Il s’agit de détecter le mal-être avant que la situation ne devienne critique et d’avertir la cellule de prévention de la MSA. Certains exploitants ont peu de contacts avec l’extérieur. Or, il faut pouvoir évacuer cette boule au ventre. »

Des signes peuvent alerter : champ ou élevage moins bien tenus, absences aux réunions, etc. Des difficultés financières, la perte d’un proche précipitent parfois le geste fatal. Étienne Laude met cependant en garde : « Il faut avoir de l’empathie mais pas de la sympathie ». Trouver la juste distance, ne pas entrer dans l’intimité de l’autre, ne pas s’affoler trop vite, autant de règles à tenir. Cet employeur de main-d’œuvre rappelle qu’il est aussi veilleur sur son exploitation. Un jour, il a retardé son départ en réunion pour prendre le temps d’écouter un salarié en souffrance. Ce dernier a accepté de rencontrer un travailleur social.

« Pour être une bonne sentinelle, il faut déjà prendre soin de soi », affirme Étienne, qui se ressource grâce à la natation et au bricolage. Il peut aussi compter sur le soutien de sa femme, Valérie, qui travaille à l’extérieur. « Les épouses d’agriculteurs sont les sentinelles de leur mari. Ce sont souvent elles qui alertent le professionnel de santé quand leur conjoint ne va pas bien. » Le bénévole a transmis son altruisme à ses trois enfants. L’un a rejoint l’exploitation à mi-temps, tandis que l’aîné et la dernière seront médecins. « Prendre soin des autres », une valeur partagée en famille.