Quatre-vingt-dix minutes. Le temps d’un match, Jérôme Rey arrête de penser à ses vaches, veaux, génisses. « J’y songe encore dans le vestiaire, jusqu’au moment d’entrer sur le terrain, sourit ce pilier du Lyon olympique universitaire rugby (LOU). Puis je mets à distance tous les problèmes de la ferme pour jouer. » La recette marche, puisque le sportif de 26 ans a été appelé début 2022 dans la liste des 42 joueurs du groupe du XV de France. Rugbyman professionnel et éleveur à plein-temps à Saint-Vital (Savoie), ce père de deux jeunes enfants avoue qu’il « commence à être sur les rotules ».

Deux pleins-temps

Jérôme a commencé le rugby à l’âge de huit ans et n’a jamais arrêté. « On m’a toujours dit qu’une carrière sportive était éphémère, qu’elle s’arrêterait toute seule… », explique-t-il. Mais pour le moment, rien ne la stoppe. Pas même le travail à la ferme.

N’étant pas fils de paysan, il doit sa vocation agricole à un voisin, éleveur laitier. « Mais j’ai vu sa charge de travail et le prix du lait dérisoire, raconte-t-il. De toute façon, cette production n’aurait pas été compatible avec le rugby… C’est déjà difficile avec l’élevage allaitant ! » À vrai dire, il n’avait pas sérieusement envisagé cette double carrière.

Quand il crée son exploitation à 18 ans, il ne sait pas qu’un club lui proposera son premier contrat pro six mois plus tard. Il accepte et tout s’enchaîne. Il passe par plusieurs clubs de la région, restant proche de sa ferme car « un agriculteur ne peut pas mettre son activité en pause ». Avec 65 ha, 90 bovins et 250 poules pondeuses, le tout vendu en direct à des particuliers, restaurateurs et bouchers, il a de quoi s’occuper…

Savoir faire équipe

Depuis son entrée au LOU, en juillet 2021, il emploie deux salariés, plus une personne pour préparer les commandes. Et quand il s’absente pour le ballon ovale, son père est son « homme de confiance » sur place. « Je suis présent environ deux jours et demi sur l’exploitation, mais comme j’ai tout en tête, je peux la piloter à distance. Quand je rentre, tout est prêt, le tracteur attelé, le plein de carburant fait. J’ai également un parc de matériel en parfait état car je ne peux pas perdre du temps avec un incident ! »

Dans le vestiaire, son métier d’éleveur nourrit les échanges avec les autres joueurs. Il leur vend parfois un peu de viande aussi. « Je m’efforce de produire de la qualité, autant leur en faire profiter, sourit Jérôme. Mais dans l’équipe, je suis rugbyman exactement comme eux. Simplement quand eux sont en repos, je suis à la ferme ! » Se faire remplacer, afin de se reposer un peu ? « Même si je le voulais, je ne pourrais pas, lâche-t-il. C’est dur de recruter : j’ai déjà essayé cinq ou six salariés… Il est plus facile de trouver un remplaçant pour le rugby que pour le travail en élevage ! »

Bérengère Lafeuille