«Il y a cinq ans, je me suis rendu compte que mes rendements stagnaient, qu’une de mes parcelles prenait en masse, qu’il n’y avait plus de vie dans le sol, explique Jean-Paul Dallene, agriculteur à Oppy, dans le Pas-de-Calais. Il fallait que je trouve une solution. J’ai commencé par supprimer le labour et implanter des couverts mais si l’agriculture de régénération en céréales, c’est facile, il restait la question des betteraves et des pommes de terre. » En regardant ce qui se pratiquait aux États-Unis et au Canada, il a découvert que des agriculteurs prébuttaient leurs pommes de terre à l’automne, avant de les implanter au printemps.

Un prébuttage en cours d’été

« J’ai fait un essai la première année sur 12 ha, et suis passé petit à petit à 45 ha, indique-t-il. Auparavant, j’implantais toutes mes pommes de terre après deux ou trois déchaumages, un couvert réglementaire semé le 15 septembre, détruit le 15 novembre, un labour et un travail du sol très fin à la fraise juste avant la plantation. Désormais, après la récolte du précédent, je travaille le sol, sans trop le perturber, juste avant la formation des buttes avec un ancien buttoir. J’ai installé une cuve à l’avant du tracteur avec les semences, de façon à semer le couvert en même temps. » Cette année, le pré-buttage et le semis du couvert ont été réalisés le 23 juillet, avec un mélange de féverole, tournesol, niger, phacélie, vesce, trèfle et radis fourrager. L’exploitant adapte le couvert selon les parcelles. Dans une autre, il a implanté du tournesol, sarrasin, niger, moha et millet afin de détruire les ronds de chardons. Le sarrasin pousse vite et les empêche de se développer.

 

« J’investis de l’ordre de 50 €/ha dans les couverts, toutefois je les retrouve, souligne l’agriculteur. J’estime qu’un couvert de 3,5 t/ha de matière sèche fournit environ 30 unités d’azote, de la potasse et du phosphore. » Il broie le couvert une première fois assez haut en février, puis le détruit trois semaines avant la plantation, par un broyage ou un glyphosate. Il implante les pommes de terre en reformant la butte exactement au même endroit, grâce au guidage RTK.

Des sols plus souples, moins tassés

Jean-Paul n’est pas parti seul dans l’aventure. Il en a parlé à McCain, il est membre de l’association Eco-Phyt’ animée par son négociant le groupe Carré, et il fait des essais avec sa coopérative Unéal ainsi que l’organisme de recherche Agro-Transfert. « Le fait de se lancer dans de nouvelles pratiques fait peur, reconnaît-il. Échanger avec d’autres sur le sujet permet de lever certaines craintes et d’avancer plus vite. »

« Avec le couvert sur le prébuttage, les racines travaillent la butte pendant six mois, favorisent les échanges entre le sol et l’atmosphère, précise-t-il. Le sol est plus souple, il se réchauffe et se ressuie plus vite au printemps. Quand il fait sec, il garde mieux l’humidité. Jusqu’à présent, je n’ai pas obtenu de rendement plus élevé, cependant mes sols sont plus souples, moins tassés et les arrachages sont plus faciles. Dès la première année, nous avons dénombré trois fois plus de vers de terre. »

Cet engagement dans l’agriculture de régénération permet à Jean-Paul d’obtenir 3 €/t en plus pour ses pommes de terre livrées à McCain. Il est aussi en démarche HVE (haute valeur environnementale) avec Eco-phyt et réfléchit à faire évoluer ses pratiques en betteraves, en ne travaillant qu’une bande de semis sur 15 cm, au lieu de 45. Cela ne l’empêche pas de rester pragmatique : « Je ne veux plus labourer et, à terme, je ne souhaite plus utiliser de fraise. Pourtant, je ne vendrai ni ma charrue, ni ma fraise, car il est possible qu’un jour j’en ai encore besoin. »

Blandine Cailliez