Comment est né votre collectif et quels sont ses objectifs ?

Bernard Schmitt : Ce collectif est issu du travail commun entre plusieurs associations, toutes agréées par la préfecture : Vosges Nature Environnement, Oiseaux Nature, l’Association de sauvegarde des vallées, l’UFC-Que choisir. Nous nous sommes unis sur ce dossier lorsque nous avons appris que nous ne pourrions plus consommer l’eau du robinet produite localement. Au motif que la ressource doit être préservée pour que les usines d’embouteillage puissent continuer à pomper, alors que les nappes qui les alimentent sont déjà surexploitées.

L’Office français de la biodiversité a ainsi constaté que les cours d’eau du secteur présentent des assecs anormalement tôt en saison depuis plusieurs années. Ce qui est prévu, c’est qu’une canalisation aille chercher l’eau en dehors de l’impluvium (2). Mais nous refusons cette « solution », qui est une aberration économique.

À cela s’ajoutent les découvertes de plusieurs décharges illicites de plastiques, l’une d’elles équivalent à 40 000 m³ enfouis. Plus récemment ont été révélés l’existence de forages illégaux ainsi que le recours à des procédés de purification par Nestlé Waters pour ses eaux minérales dites « naturelles » (3). Ça fait beaucoup !

Comment l’agriculture est-elle impactée sur la zone de captage ?

Jean-François Fleck : Au début des années quatre-vingt-dix, la Société des eaux a commencé à acheter les terres situées dans ce périmètre. Les exploitants, pour ceux qui ont adhéré à la démarche, une quarantaine, sont devenus locataires. Ce qui représente 6 100 ha et environ 75 % de l’impluvium.

Une filiale de Nestlé Waters Vosges, Agrivair, a été créée pour gérer le cahier des charges : zéro pesticides, pas de maïs, une fertilisation contrôlée, un nombre limité d’UGB/ha, avec un accompagnement financier pour la mise aux normes. Mais les différentes analyses prouvent que cela ne fonctionne pas bien : des métabolites issus des produits phyto sont toujours retrouvés, ainsi que des germes fécaux qui proviennent certes des toilettes humaines, mais aussi des déjections animales.

Nestlé Waters a donc eu recours à ces traitements interdits, ce qu’elle tait depuis des années. Les agriculteurs, eux, ont respecté ce qu’il leur était demandé. Mais pas la firme, qui trompe les consommateurs.

Où en est l’affaire sur le plan juridique ?

J.-F. F. : En octobre dernier, après les différentes plaintes déposées depuis des années, le tribunal d’Épinal a tranché en faveur d’une convention judiciaire d’intérêt public. Nestlé Waters n’est pas formellement condamné et peut continuer ses activités. Mais en raison des préjudices avérés, elle doit verser à l’État 2 millions d’euros (M€), plus 1,1 M€ pour restaurer les cours d’eau, et 450 000 euros à cinq associations dont la nôtre. Mais certaines, comme l’ONG Foodwatch, davantage portées sur le volet de la consommation, réfutent cet arrangement.

L’État a-t-il joué son rôle de protection ?

B. S. : L’eau est un bien commun et un enjeu de santé publique. Malheureusement, comme dans d’autres domaines, l’État s’est désengagé. Il a délégué à de grosses entreprises la fourniture d’eau potable. Et vient jouer les gendarmes, avec l’OFB, la police de l’eau, quand il y a des problèmes. Ce qui est illogique. L’assainissement doit revenir à des régies publiques. C’est toute la politique de l’État en matière de gestion de la ressource en eau qui doit être revue.

(1) Nestlé Waters est la division « eaux » de Nestlé et le principal actionnaire de la société exploitant les sources de Vittel (Contrex et Hépar), dans l’ouest du département des Vosges. (2) Surface qui reçoit et collecte l’eau de pluie. (3) Le 4 décembre a été annoncé le lancement des travaux de la commission sénatoriale d’enquête sur les eaux en bouteille, suite aux pratiques illégales de traitement.