Les ravageurs, qu’ils soient des adventices, insectes ou champignons, n’ont pas tous la même sensibilité à un produit phyto donné. Au champ, l’application d’une substance élimine les individus les plus sensibles, favorisant le développement de ceux résistants, naturellement présents sur la parcelle. La résistance à un phyto désigne ainsi la capacité héritable d’un bioagresseur à survivre à un traitement du bon produit, positionné correctement et à la bonne dose. C’est un phénomène qui évolue. « Des résistances s’aggravent, d’autres deviennent moins prégnantes, et de nouveaux cas émergent », résume Anne-Sophie Walker, de l’Inrae, lors des Journées d’échanges sur les résistances en février 2024.

La base de données du Réseau de réflexion et de recherche sur la résistance aux pesticides (R4P) répertorie les couples bioagresseur-substance active pour lesquels des individus résistants ont été détectés. « Les cultures majeures sont surtout suivies, moins les mineures, ce qui nous amène à penser que ces effectifs sont sans doute sous-estimés », commente Anne-Sophie Walker. En 2023, 105 cas sont répertoriés pour des champignons et oomycètes. « Les résistances aux SDHI, IDM et QiI ont progressé. On a aussi intégré des cas de résistances de la cercosporiose de la betterave et des rouilles des céréales. » Concernant les insectes et acariens, la base compte 79 cas. « Conséquence du retrait des néonicotinoïdes, un report s’est opéré sur les pyréthrinoïdes et les résistances à ces substances ont augmenté. On constate aussi la hausse des résistances à des molécules de biocontrôle », ajoute l’experte.

La base comprend 101 cas de résistances aux herbicides. « La diversité des modes d’action est beaucoup plus faible que pour les autres usages, constate-t-elle. Le panel de bioagresseurs est au contraire bien plus large : on retrouve les mêmes résistances déclinées sur toute une batterie d’adventices. » Parmi les cas récents ou émergents, la résistance du ray-grass aux inhibiteurs de l’élongation des lipides (fluflénacet, prosulfocarbe), en expansion depuis 2018-2019, ou encore celle des coquelicots aux auxines de synthèse (2,4-D, aminopyralide) depuis 2013. Plus récemment, le premier cas mondial de vulpin résistant au glyphosate a été détecté en France, à la fin de 2023.

La sélection des individus résistants est d’autant plus rapide que la pression exercée par le produit phyto est forte, monotone et récurrente. (©  Stéphane Leitenberger)

Pas de nouveau mode d’action à court terme

« Le pesticide ne fabrique pas la résistance, il la sélectionne et la révèle », insiste Christophe Délye, de l’Inrae. Lorsqu’un produit est mis sur le marché, la fréquence d’individus résistants est d’abord indécelable, puis elle augmente au fur et à mesure de son utilisation, jusqu’à atteindre une résistance persistante. « Le recours aux phytos est facile, rapide d’utilisation, sélectif et relativement peu cher. Les techniques alternatives sont, elles, en général moins efficaces. Il faut souvent en utiliser plusieurs, qui sont plus contraignantes », observe le spécialiste. Néanmoins, la sélection des individus non sensibles est d’autant plus rapide que la pression exercée par le produit est forte, monotone et récurrente, et que les infestations sont importantes. Contrôler un bioagresseur uniquement par la chimie, avec un seul mode d’action et sur de grandes surfaces, maximise le risque de résistance et de perte d’efficacité du phyto. Or, les produits « perdus » pour cause de résistance le sont généralement pour longtemps, voire pour de bon.

Réglementation, pression sociétale, toxicité et écotoxicité, résistance des bioagresseurs, changement climatique… Le contexte d'utilisation des phytos est complexe. Les retraits sont plus nombreux que les mises sur le marché. « Entre 1993 et 2015, le nombre de substances en Europe s’est réduit de 60 %, et 75 substances supplémentaires sont actuellement sur la sellette, constate Christophe Délye. Il n’y aura pas de nouveaux modes d’action avant cinq à dix, peut-être un peu moins pour les fongicides. »

Les phytos sont une ressource finie : préserver leur efficacité dans la durée est primordial. Dès lors qu’une résistance est détectée, une stratégie de gestion diversifiée et adaptée s’impose. Pour Christophe Délye, elle doit se raisonner sur le long terme et collectivement. « La sensibilité au produit phyto devrait être considérée comme un bien commun », appuie-t-il.

À noter qu’un échec de tra itement n’est pas forcément dû à une résistance. Positionnement et qualité du traitement, stade d’application, hygrométrie, dose… Plusieurs facteurs sont à respecter pour qu’un produit soit efficace.

Prévenir leur apparition

Dans le cas des résistances, prévenir est plus facile que guérir. Les pesticides s’emploient en dernier recours « en faisant attention à la façon dont ils sont utilisés », prévient Myriam Siegwart, de l’Inrae. L’intégration de technique de lutte non chimique diminue les risques d’apparition. « Il s’agit d’exercer une pression de sélection multiple pour la rendre imprédictible pour le bioagresseur », décrit-elle.

Toutes les méthodes alternatives ne se valent pas selon le type de ravageur. « On a une longueur d’avance en insecticides puisqu’en moyenne, ce sont les molécules les plus toxiques qui ont été retirées le plus tôt du marché. Il y a donc davantage de solutions à disposition, comme la confusion sexuelle, les micro-organismes ou macro-organismes », ajoute Myriam Siegwart. Les alternatives sont en revanche peu nombreuses pour gérer les adventices, et reposent notamment sur la rotation ou le travail du sol.

Il est également possible de « gagner du temps » avec la lutte chimique, en appliquant des stratégies qui maximisent l’hétérogénéité et la diversité des pressions de sélection. Le mélange de mode d’action, par exemple, consiste à appliquer, en prévention, plusieurs modes d’action en même temps et au même endroit, sur des populations sensibles à tous les partenaires du mélange. L’objectif étant de « tuer un individu plusieurs fois ». Coût, hausse de l’IFT, réglementation : cette technique présente des inconvénients. Elle est peu utilisée avec les insecticides. « On dispose de peu de substances et le mélange augmente par ailleurs la toxicité sur les auxiliaires », signale Myriam Siegwart.

Le principe de l’alternance consiste à « tuer différemment les parents et leurs descendants », explique cette dernière, en faisant varier les modes d’action dans le temps. Le rythme de l’alternance doit être adapté au cycle de vie du bioagresseur et à la rémanence de la substance active.

La technique de la mosaïque vise à varier les modes d’action dans l’espace. Elle évite de traiter de vastes surfaces avec une seule matière active : un champ est traité avec un produit tandis qu’un autre à proximité est traité à la même période avec une autre substance, formant une mosaïque spatiale.