Une définition officielle des produits de biocontrôle a été introduite en 2014 dans le code rural et de la pêche maritime (CRPM). Ce sont « des agents et produits utilisant des mécanismes naturels dans le cadre de la lutte intégrée contre les ennemis des cultures ». Ils se classent en quatre catégories : les macro-organismes (insectes auxiliaires), les micro-organismes (champignons, virus, bactéries), les médiateurs chimiques (phéromones, kairomones) et les substances d’origine naturelle (animale, végétale, minérale). Sans la prétention de remplacer le conventionnel, ils s’intègrent dans une stratégie de protection intégrée des cultures.
Plus en arboricultureet maraîchage
« Le segment des cultures spécialisées sous serre et en plein champ dispose d’une belle offre, connue et implantée, estime Ronan Goff, de l’entreprise Certis et vice-président d’IBMA France, l’association française des entreprises du biocontrôle. Le secteur se concentre aujourd’hui sur la façon de convertir les utilisateurs. »
À titre d’exemple, Bacillus thuringiensis (Bt), une bactérie du sol qui sécrète des toxines aux propriétés insecticides, est la plus anciennement utilisée. Chaque sous-espèce de Bt est spécifique à une famille d’insectes : certaines agissent contre les carpocapses, la teigne de la tomate ou les chenilles phytophages. Une autre pratique répandue est la confusion sexuelle, qui consiste à diffuser des phéromones pour perturber la rencontre des deux sexes de ravageurs, évitant leur reproduction. Elle lutte contre les carpocapses ou la tordeuse orientale sur pommier et poirier (lire en page 49). Il existe également des pièges à base de kairomones, molécules odorantes dont les insectes se servent pour repérer les plantes. Attirés, les ravageurs se retrouvent capturés dans des récipients, des plaques engluées ou des pièges à eau/huile.
Des freinsen grandes cultures
Les grandes cultures constituent le parent pauvre du biocontrôle (voir l’infographie en page 44). « Peu de solutions sont disponibles. L’offre est faible par rapport au potentiel, poursuit Ronan Goff. Alors que le secteur représente 80 % du marché français des phytos, le biocontrôle est encore en phase de démarrage. Le soufre et notre anti-limaces Sluxx, à base de phosphate ferrique, font figure d’exception en termes d’efficacité. » Dans le réseau des fermes Dephy, le soufre représente ainsi 60 % des substances actives utilisées. Il est notamment autorisé contre l’oïdium ou la septoriose du blé.
Autre technique connue : le lâcher de trichogrammes, employé depuis quarante ans. Ces petits hyménoptères détruisent les pyrales du maïs en déposant leurs œufs dans ceux du ravageur. En 2018, en France, près de 120 000 ha de cultures de maïs ont été ainsi protégés.
Cerall, composé de la bactérie Pseudomonas chlororaphis, est un traitement de semences autorisé contre la fusariose, la septoriose et les caries du blé. De son côté, Contans WG est un traitement de sol à base d’un champignon, le Coniothyrium minitans, efficace pour lutter contre le sclérotinia sur le colza, au même titre que Ballad ou Rhapsody. Ce dernier, composé de la bactérie Bacillus subtilis, est arrivé récemment sur le marché. Il est aussi autorisé sur pomme de terre contre le rhizoctone ou sur betterave contre la cercosporiose. De même, Ballad est autorisé en tant que fongicide contre le sclérotinia. Le manque de solutions herbicides est un frein important au développement du biocontrôle en grandes cultures. Beloukha, à base d’acide pélargonique, est un exemple d’herbicide homologué mais son efficacité est limitée (lire en page 47).
Un marchéen croissance
Les produits de biocontrôle figurent sur une liste établie par le ministère de l’Agriculture, régulièrement actualisée. La dernière version en date, du 17 janvier 2020, compte 500 produits (93 micro-organismes, 47 médiateurs chimiques, 351 substances naturelles et 9 pièges à insectes).
Actuellement, le biocontrôle représente 8 % du marché de la protection des plantes, selon le bilan de 2018 de l’IBMA. Pour la troisième année consécutive, il enregistre une croissance à deux chiffres (+ 24 % entre 2017 et 2018). « Ces fortes progressions traduisent une implication croissante des acteurs des filières agricoles en faveur des méthodes alternatives, pour une agriculture toujours plus durable, note Antoine Meyer, président de l’IBMA. Elles ne doivent pas pour autant occulter le manque de solutions de biocontrôle dans un trop grand nombre d’usages, toutes filières confondues. »
Pour atteindre l’objectif ambitieux de 30 % de parts de marché à l’horizon 2030 espéré par l’IBMA, de grands défis restent à relever au niveau de la recherche et du développement. Les grandes firmes agrochimiques y ont vu une opportunité dans un contexte de pression politique quant au profil environnemental des produits. Un consortium de 48 membres privés et publics a également été créé en 2016 pour favoriser la recherche sur le biocontrôle. « Nous souhaitons que chaque usage dispose de deux solutions de biocontrôle à modes d’action complémentaires », ajoute Antoine Meyer. En 2020, 38 nouvelles solutions sont en développement chez les entreprises adhérentes de l’IBMA, d’après un sondage interne. D’ici 2023, pas moins de 126 devraient voir le jour, en majorité pour le secteur de l’arboriculture, la vigne et le maraîchage, avec respectivement 58, 52 et 49 innovations. Les grandes cultures devraient, quant à elle, bénéficier de 37 nouveaux produits.
Une volonté politique
« La France est le seul État membre à s’être doté d’une réglementation », rappelle Antoine Meyer. Le terme « biocontrôle » est d’ailleurs exclusif à l’Hexagone. Son développement est encouragé par les pouvoirs publics, qui y voient un moyen pour atteindre les objectifs du plan Ecophyto 2 +.
Hormis les macro-organismes qui disposent d’une réglementation spécifique, les substances de biocontrôle dépendent du même dispositif d’homologation que les produits phytosanitaires classiques. Ils sont soumis à autorisation de mise sur le marché (AMM), délivrée par l’Anses, et font l’objet d’une évaluation sur leur efficacité et leur sélectivité, mais aussi sur l’homme et les milieux naturels. Ils bénéficient cependant d’une procédure accélérée d’évaluation et d’instruction des demandes d’AMM, et de taxes réduites pour ces procédures. Le délai maximal d’évaluation est ainsi fixé à six mois. Une stratégie nationale de déploiement devrait prochainement être publiée, pilotée par le ministère de l’Agriculture. Elle veille notamment à alléger les démarches administratives et vise à encourager la recherche et l’innovation, et à promouvoir le biocontrôle au niveau européen.
Les produits dédiés font exception à certaines mesures : l’interdiction des remises, rabais et ristournes (3R) ne s’applique pas, et ils ne sont pas non plus concernés par les zones non traitées (ZNT) près des habitations. La publicité ou l’utilisation et la vente aux particuliers reste autorisée.
Des leviersà enclencher
Les produits de biocontrôle sont en revanche concernés par la séparation du conseil et de la vente. Une décision que regrette l’IBMA. « Le biocontrôle n’est pas simple à s’approprier, d’autant plus que l’on est en grandes cultures. Les autorités ont voulu privilégier son développement avec Ecophyto 2 +. C’est une ineptie de ne pas avoir fait de différence avec les autres produits phytosanitaires, déplore Ronan Goff. Les agriculteurs ont besoin de suivi et de conseils. Ils doivent changer de fonctionnement, oublier les produits conventionnels avec zéro risque. »
Le manque de formation des techniciens comme des producteurs, l’efficacité au champ et le retour économique restent des obstacles majeurs à sa mise en œuvre. Comment le positionner ? Dans quelles conditions ? Des produits souvent plus chers, un besoin en main-d’œuvre supérieur… (lire en page 48) Le biocontrôle a encore besoin de temps pour décoller.
« Il rentre dans une stratégie avec des pratiques plus vertueuses qui répondent à la demande de nos clients. Si on produit mieux, il faut que la rémunération soit améliorée pour le producteur », estime Baptiste Breton, directeur technique de la coopérative de la Tricherie. Environ 40 % des adhérents de l’IBMA souhaitent lancer une marque ou un label. Mais la reconnaissance sociétale est encore loin : seulement 14 % des consommateurs ont déjà entendu le terme « biocontrôle ». Si ces produits ont un profil écologique et toxicologique plus favorable, ils impliquent un nombre de passages de traitement plus élevé. Reste l’impossible mission de le faire comprendre aux consommateurs, dans un contexte où ils ne veulent plus voir de pulvérisateurs.