« Il faut apprendre pour se former mais il est bon aussi de savoir se “déformer”, plaisantent Emmanuel Volle et Marion Bardiau, associés sur 117 ha à Salettes, en Haute-Loire, près du mont Mézenc. A 1 100 m d’altitude, des prairies et des forêts de résineux émaillent un paysage dont on perçoit la rigueur même en été. Si l’herbe reste la ressource principale de ce système de montagne, les éleveurs ont implanté des cultures diversifiées pour rendre leur système alimentaire le plus autonome possible. Novateurs, ils ont aussi travaillé la génétique de leur troupeau pour produire des agneaux à la viande persillée, appréciée des gastronomes. Avant de gagner ce pari, il a fallu oser une évolution inscrite sur plusieurs années.

Emmanuel Volle s’installe en 2000 sur l’exploitation maternelle comptant 250 brebis blanches du Massif central. Il vend sa production d’agneaux à la coopérative Copagno et passe en agriculture biologique (AB) en 2010. Le Gaec est formé en 2013, lorsque Marion Bardiau le rejoint. La jeune femme dynamique se lance dans la vente directe des lentilles vertes du Puy AOP. Celle des agneaux démarre également, après un contact avec un chef étoilé, Alain Ducasse, qui déclare « ne plus pouvoir se passer de cette viande tendre et persillée ».

Trois races en croisement

La découverte de la race thônes-et-marthod, en Savoie, où les éleveurs mettaient des brebis à l’estive, les incite à croiser leurs BMC avec cette race laitière et très maternelle. Le troupeau est aujourd’hui composé de F1 issus de ce croisement. « Les brebis, plus rustiques, estivent dans le massif du Sancy. Nous avons mis sept à huit ans à réorienter la génétique du troupeau, soulignent les éleveurs. Nous croisons les brebis avec des béliers de race charmoise, qui apportent quant à eux de la conformation et de la fertilité. »

Le système en un agnelage par an évolue depuis 2023 en trois agnelages en deux ans, avec l’objectif de produire une centaine d’agneaux supplémentaires par an, la productivité atteignant 1,2 à 1,4 agneau par brebis et par an.

Les agneaux sont vendus à 100% en vente direct auprès de restaurateurs, un boucher, un magasin de producteurs en Ardèche et des particuliers. En 2023, 250 agneaux ont été vendus 11,90 €/kg de carcasse (pour 16 à 17 kg de carcasse) en sortie d’abattoir +2 €/kg de transport pour des livraisons en carcasses ou demi-carcasses. 35 brebis de réforme affichent 6,50 €/kg carcasse. Les abats (cervelle, tripes…) sont également valorisés.

Des ressources multiples

Le pâturage est rendu efficace par une utilisation rigoureuse des prairies naturelles, des sagnes humides, des parcours broussailleux et des estives, selon l’avancée dans la saison estivale.

Mais cinq mois d’hiver exigent aussi des stocks importants (300 kg de matière sèche par brebis suitée) et de qualité. « Nous avons implanté des prairies multi-espèces de longue  durée, composées de luzerne, RGA, dactyle, fétuque, chicorée, trèfle blanc, lotier, dont la première coupe est enrubannée avant d’être pâturée deux, voire trois fois. En complément, des prairies de trèfle blanc de courte durée sont semées en interculture, sous couvert de céréales, pour le pâturage automnal. » 

Un mélange de luzerne, de trèfle et de lotier offre un pâturage de qualité en fin d’été et début d’automne. (©  Monique Roque Marmeys)

Des méteils et des céréales produits à partir d’anciennes semences de l’Inrae fournissent des concentrés à plus de 13% de protéines. « Il faut adapter son chargement pour garder de la surface destinée aux agneaux. De 25 % à 30 % de la SAU est destinée à leur alimentation, tant pour le pâturage que la récolte de fourrage et de céréales, précise Emmanuel. Nous réservons le très bon foin de prairie naturelle et l’enrubannage de luzerne en mélange pour les brebis en lactation, puis pour les agneaux. La ligne d’achat d’aliment concentré a disparu du compte de résultat en 2022. »