S’il est un mérite à accorder à l’événement LFDay, c’est bien la volonté de transparence et de confrontation des idées. Plus d’une centaine de start-ups ont répondu présent ce mardi 12 juin 2018 au centre de congrès de La Villette, à Paris. Que ce soit sur les stands, en « pitch », en « keynote » ou en table-ronde, tout le monde a joué le jeu des échanges sur l’innovation souhaité par l’association La Ferme Digitale (1) qui organise la journée. Ceux-là ont permis de mettre à jour des idées parfois divergentes. Notamment à propos de la place et de la stratégie liée aux nouveaux produits et services « disruptifs » proposés.
Sortir de l’entre-soi
L’état d’esprit est à l’ouverture. Les participants se veulent acteurs principaux d’une transition numérique de l’agriculture qu’ils impulsent et accompagnent aux côtés d’autres acteurs, présents aussi lors de cette journée, notamment les investisseurs. Les présentations ont eu parfois la maladresse de tomber dans la facilité, voire la stupidité, du « feed the world » pour argumenter en faveur des solutions « AgTech » aux maux de nos sociétés – pollution, gaspillage, population croissante – ou du smartphone, objet magique prêt à révolutionner la ferme.
« J’ai été en Inde, là-bas, il y a des jours où l’agriculteur ne mange pas pour se payer un téléphone », a-t-on pu maladroitement entendre. Ou encore de la phrase magique pour se sortir d’une situation inconfortable : « C’est toujours l’agriculteur qui décide. » Heureusement, l’un des rares agriculteurs participant à cette journée et sans activité rémunératrice en lien avec le monde numérique a participé à une table-ronde pour donner un autre son de cloche. En l’occurrence, il s’agit d’une exploitante de l’Aveyron, Sarah Singla, qui a pu opposer quelques arguments.
Les outils numériques seuls ne servent à rien
« L’agriculture numérique sans agronomie, c’est beaucoup de bêtises avec beaucoup de précision. » Sarah Singla a le sens de la formule. Elle n’en démord pas, « il faut se réintéresser au sol. Dans un pays où un agriculteur sur deux est connecté, avec beaucoup de zones blanches, les données ne sont qu’un outil. Le numérique est la cerise sur le gâteau, mais la farine, c’est l’agronomie. »
Deux des contradicteurs de Sarah Singla opposeront un discours subtilement différent. Philippe Stoop (entreprise ITK) argumente sur la complémentarité des outils mis à la disposition des agriculteurs, comme les données cumulées des cartes de rendement et l’analyse de sols pour les apports azotés. Mais pour Sarah Singla, la gestion de la fertilisation ne s’arrête pas à ces facteurs.
« Il y a des carences possibles pour d’autres éléments nutritifs, le choix variétal entre en ligne de jeu, et il faut faire très attention à l’interprétation des données, comme par exemple la position du satellite au moment où il a pris une photo, insiste-t-elle. Si des plantes compagnes comme la féverole sont détectées dans un champ de colza, le satellite ne fera pas la distinction entre les deux espèces. Ce sont uniquement des outils et il faut bien revenir aux bases. »
De l’éloge de la connaissance et de la transparence
Le robot désherbeur, c’est très bien, selon l’agricultrice, mais ce n’est qu’un outil. « Il faut traiter la cause et disposer d’un outil pour anticiper le salissement des parcelles, précise Sarah Singla. La nature n’est pas régie par un modèle. Il faut mettre en place des techniques pour que les mauvaises herbes ne germent pas […]. Le premier intrant, c’est la connaissance. Aujourd’hui, si l’on veut rester à la ferme il faut étudier. Les Brésiliens disent que la réussite est proportionnelle à la connaissance à l’hectare. »
Stefano Volpi, cofondateur de Connecting Food, ira plus loin : « C’est au producteur de prendre en main aussi les règles. Il faut se connecter au consommateur. C’est juste celui qui paye. Pour cela, il faut donner de la transparence. La question de savoir si la donnée va nous enfermer est mauvaise. »
Le numérique comme future charge de mécanisation
« Les agriculteurs sont suréquipés en mécanisation, analyse Sarah Singla. Il ne faut pas demain remplacer les coûts de mécanisation par les coûts numériques. Je crois beaucoup au partage de données pour diminuer les coûts de production. Le groupe permet de progresser. Il faut mutualiser les objets connectés. »
Jérôme Le Roy, fondateur de Weenat, la rejoint sur ce point. « Il y a des regroupements d’agriculteurs par problématique et la vertu de la donnée c’est le partage et la diffusion de l’innovation en groupe et de challenger la start-up […]. Tout est encore à faire et il faut massifier et baisser les coûts et répondre aux problématiques locales ».
Sur tous ces points, Stefano Volpi a une approche différente. En référence aux crises actuelles, il déroule : « À vouloir toujours baisser les coûts, on continuera sur la même pente. La vraie question, c’est comment capter plus de marge. Pour cela, il faut maîtriser sa donnée. Car la donnée doit créer de la valeur additionnelle. C’est l’intérêt de la blockchain (2) et des “smart contract” (3) pour la rémunération des producteurs. Ces outils permettent des contrats directs et en transparence, jusqu’au consommateur final. On pourrait alors imaginer demain une application mobile précisant la rémunération d’un producteur pour un produit acheté. »
(1) La Ferme Digitale fédère les start-ups AgTech françaises.
(2) Technologie de stockage et de transmission d’informations sans organe de contrôle.
(3) Contrats intelligents, protocoles informatiques qui facilitent, vérifient et exécutent la négociation ou l’exécution d’un contrat.