Chez les Gomont, l’engagement professionnel auprès de la MSA est une histoire de famille. Le père, Pierre Gomont, ancien éleveur laitier est délégué depuis une trentaine d’années. « Il est encore candidat à 85 ans. Il veut continuer à être délégué, je pense qu’il le sera jusqu’à la fin de sa vie », soutient sa fille Sylviane Lefez, née Gomont qui termine, elle, son deuxième mandat dans la Seine-Maritime. Elle compte bien rempiler pour un troisième. L’éleveuse s’est de nouveau portée candidate aux élections des délégués de la MSA, qui se dérouleront du 5 au 16 mai 2025. Avec son héritage familial, « forcément on a une affinité envers la MSA ».
« On a besoin de la MSA », objective Sylviane Lefez, qui a été suivie par l’institution « tout au long de [sa] vie ». Alors « plutôt que de râler à l’extérieur, pourquoi ne pas être à l’intérieur et essayer de faire évoluer les choses pour que ça s’améliore ? C’est ce qui me motive », assure-t-elle, « apporter ma pierre à l’édifice ». Un édifice. Le terme est bien choisi quand on s’intéresse au mastodonte qu’est la MSA : 5,1 millions de ressortissants, 35 caisses locales et surtout 13 760 délégués réélus tous les cinq ans.
La sécurité sociale agricole d’après-guerre, fondée sur un système d’assurance mutuelle contre les risques sociaux veut maintenir l’originalité de sa gouvernance avec des délégués, élus par les agriculteurs et les salariés du monde agricole, pour servir de traits d’union entre la MSA et ses ressortissants. Mais que font-ils concrètement ?
Animation du territoire
Chaque année, plus de 3 000 actions sont menées par les délégués de la MSA à travers la France. C’est l’une de leurs premières missions : l’animation du territoire. Pendant son second mandat, Sylviane Lefez a déjà « sensibilisé des jeunes à la surconsommation » sur le stand d’un centre sur les addictions sur une foire agricole. L’agricultrice en production laitière a aussi « fait une conférence sur les ondes électromagnétiques en élevage et les conséquences sur notre santé ».
Max Doux, retraité et ancien salarié du réseau Cuma du Lot-et-Garonne, est administrateur de la caisse interdépartementale de la MSA de la Dordogne et du Lot-et-Garonne. Pour lui, ces actions ont « un intérêt pour toutes personnes de la ruralité : ressortissants ou non de la MSA ». À l’occasion de l’un de ses mandats, il avait organisé une journée d’information pour les proches aidants. « C’était une réussite. Ce genre de choses permettent de bien dormir le soir », glisse l’administrateur, élu depuis 1984. Agriculteur en polyculture-élevage en Dordogne, Sébastien Reynier siège dans le même conseil d’administration. Lui veut « rendre service au territoire » pour qu’il y ait « encore des agriculteurs en milieu rural ».

Le choix des actions est à la discrétion des élus. Dans chaque canton, jusqu’à neuf délégués se réunissent et décident chaque année des nouvelles actions à mener, en plus de celles plus régulières (conférences pour les retraités, sur la transmission des exploitations…).
Ce travail représente, selon les estimations de chacun, d’une dizaine de jours en réunion dans l’année pour un délégué local « jusqu’à quatre à cinq jours par mois lorsqu’on est administratrice », affirme Sylviane Lefez. Ces délégués particuliers assistent en plus aux conseils d’administration de leur caisse locale de MSA.
Une aide pour reprendre pied dans ses papiers (07/02/2025)
Lors de ces derniers, « nous faisons remonter les problématiques, les miennes comme celles de mes collègues », explique Sylviane Lefez. Alors que sur son territoire, une tension globale provoquée par un pyromane qui mettait le feu à des bâtiments agricoles commençait à se faire sentir, l’agricultrice a « fait remonter à la caisse locale que les agriculteurs commençaient à être inquiets, qu’il fallait être vigilant auprès d’eux », par exemple.
Soutien social du monde agricole
Le rôle d’un délégué de MSA ne se résume pas à quelques actions et conseils d’administration dans l’année, défendent les trois élus. « Il y a aussi une action sanitaire et sociale : on propose un accompagnement des familles dans les difficultés, physiques, psychologiques et financières », soutient Max Doux.
Dans certains cantons, les postes de délégués restent parfois vides : 10 % des 5 000 circonscriptions n’ont pas de candidats en 2025, empêchant de facto la tenue des élections, d’après la MSA. Alors les élus enchaînent souvent les mandats et finissent par être connus dans leur région, d’autant que certains ont déjà des fonctions électives ou syndicales, comme Sébastien Reynier, conseiller municipal et élu dans plusieurs organisations agricoles et Sylviane Lefez, élue à la FDSEA.
« Il y a une confiance qui s’instaure », assure Sébastien Reynier. Et des problèmes personnels peuvent parfois être réglés par de simples coups de fil. « Ce peut-être des difficultés dans les démarches vis-à-vis des salariés, des papiers mal remplis, un refus de remboursement de chaussures adaptées… », liste Sylviane Lefez. Les élus délégués deviennent des courroies de transmission d’une institution face à laquelle ses adhérents se retrouvent parfois désarmés face à la complexité de son administration.
« Même le petit dossier embêtant pour une personne, si l’on a réussi à pousser les choses pour que le problème soit réglé, on en retire une satisfaction », assure Sébastien Reynier. Il participe aux commissions de recours amiable de la MSA : « On est présent, on essaie de répondre positivement, soutient l’administrateur. Souvent la MSA et les agriculteurs, on a l’impression que c’est une relation conflictuelle. » Et pour cause, la crise agricole des derniers mois a laissé place à une tension exacerbée avec l’organisme de sécurité sociale. Plusieurs caisses locales de MSA en ont fait les frais à coups de lisier et de paille renversés, comme à Agen ou à Chartres.
Double casquette
Alors les délégués doivent jongler avec leur double casquette : représentant de la MSA et des agriculteurs. Auprès de l’une, ils défendent les seconds, auprès des autres, ils expliquent la première. Une ligne de crête que s’efforcent de tenir les trois élus.
« Le devoir du délégué, c’est aussi de se former auprès de la MSA pour pouvoir éclairer l’agriculteur sur ses cotisations sociales », plaide Max Doux.
Sylviane Lefez constate l’incompréhension du monde agricole face à la MSA, due à une « méconnaissance », estime-t-elle. Elle aime être « porte-parole de la MSA » : « On la dénigre un peu trop à mon goût. La MSA est un formidable outil et mes collègues agriculteurs le voient davantage comme un percepteur de cotisations et oublient tout ce qu’il y a à côté. » « La retraite, les allocations familiales, celles pour faire face à la maladie, aux accidents… », égraine Sébastien Reynier.

« Les agriculteurs ne voient pas les enveloppes sociales de prise en charge de cotisations [50 millions d’euros en 2024, NDLR], de sorte qu’ils soient toujours assurés. Je ne sais pas s’il y a d’autres régimes où l’on peut avoir ça. S’il y a un pépin, on ferait comment ? », ajoute Sylviane Lefez.
Prévention du mal-être
Dans le monde agricole, les « pépins », souvent, ne se résument pas qu’aux finances. En 2024, 6 000 signalements ont été faits auprès de la MSA dans le cadre de la prévention du mal-être. Et les délégués participent à recueillir la parole des agriculteurs. « Le mal-être est l’un des axes de formation des élus, pour qu’ils intègrent le réseau sentinelle », explique Max Doux.
Pas question de remplacer les assistantes sociales pour autant, rassure Sébastien Reynier, c’est parfois juste « prendre le temps de donner un numéro de téléphone ». Dans un environnement où il est parfois difficile de parler de ses problèmes, connaître un délégué de MSA peut aider à faire le premier pas. « On est identifié comme un relais », explique Sébastien, « les gens viennent facilement vers nous, on est déjà connu », ajoute Sylviane Lefez. Encore faut-il que les agriculteurs du secteur, en particulier les plus isolés, aient le contact de ces délégués. Peu de communication est prévue à cet effet, à l’exception de la transmission aux mairies de la liste des élus.
Être déléguée de la MSA, pour Sylviane Lefez, c’est « un engagement professionnel. Si personne ne fait ce travail-là, ça ne fonctionnera pas. Pour moi, ça fait partie du prolongement de notre métier ». Quand on lui demande pourquoi elle souhaite renouveler son mandat elle répond aussitôt : « Il y a encore plein de choses à faire ! »