« L’impact du dérèglement climatique, c’est un impact qui est très profond et qui est probablement aujourd’hui un des éléments, si ce n’est le premier élément de réduction du revenu des agriculteurs. » C’est ainsi qu’Agnès Pannier-Runacher a introduit la table-ronde consacrée à la planification écologique et à la souveraineté alimentaire au congrès de Jeunes Agriculteurs, le 5 juin 2025.

« Nous le voyons dans les crédits d’urgence qu’on déploie, a illustré la ministre de la Transition écologique. Ces crédits sont passés que de quelques dizaines de millions d’euros il y a 10 ans, à quelques centaines de millions d’euros aujourd’hui, voire même assez régulièrement au-delà d’un milliard par an. »

Une planification « essentielle »

Pour illustrer le besoin de planification écologique, la ministre a pris l’exemple des besoins croissants en eau dans l’agriculture. « Les impasses on les a sur l’eau. Les besoins d’eau à cultures égales sont en train d’exploser et la capacité à y répondre est en train de diminuer. Cela veut dire que, d’un côté, il va falloir avoir des cultures qui sont moins exigeantes en eau et, de l’autre côté, il va falloir mettre en place des moyens de stockage d’eau et de restitution de l’eau plus importants. C’est comme ça qu’on ajuste. »

« La planification est évidemment essentielle », poursuit-elle. « C’est commencer par mettre les besoins, d’un côté, vérifier que l’offre et la demande se rencontrent et mettre en évidence les impasses », résume Agnès Pannier-Runacher. La ministre a aussi souligné que la planification doit permettre « d’anticiper à 5 ans, à 10 ans, à 15 ans, les grands phénomènes auxquels on doit faire face », et qu’elle ne doit pas être envisagée uniquement au niveau national mais aussi au niveau des territoires.

Envisager une planification européenne

Pour Yves Madre, du think-tank Farm Europe, le terme planification utilisé en France interroge dans les autres État membres, qui voient la France comme un pays libéral. « Si la planification veut dire que nous avons des défis, que nous nous fixons des objectifs, et que nous mettons en place des boîtes à outils pour permettre aux entrepreneurs d’atteindre ces objectifs, […] on est peut-être sur la bonne voie », estime-t-il.

« Il nous faut retrouver le chemin de la productivité où la productivité est un mot noble », défend-il. Mais il met en garde concernant « le mur de financement » auquel les entreprises devront faire face pour la transition écologique. Il insiste également sur la nécessité pour l’Union européenne de mettre en place une boîte à outils de gestion des risques et des crises pour accompagner les agriculteurs. La formation des chefs d’entreprise est aussi un élément majeur, souligne-t-il.

Partager l’effort

Pour la ministre de la Transition écologique, l’Union européenne au contraire entre bien dans la planification notamment avec son plan sur l’eau. Mais elle insiste sur le fait qu’il faut partager l’effort entre les filières, notamment sur la biomasse.

L’objectif fixé par l’Union européenne de +25 % de biomasse produite en 2050 n’est pas tenable uniquement par le secteur agricole, estime-t-elle. « Nous avons fait tourner les modèles et dans notre propre trajectoire c’est +15 % en 2050 », même en mobilisant les agriculteurs pour implanter davantage de haies et d’agroforesterie.

La ministre de la Transition écologique insiste sur la nécessité que tous les secteurs économiques s’impliquent pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, par exemple dans l’aviation, en travaillant sur la baisse de consommation des moteurs.

Garder une capacité exportatrice

Agnès Pannier-Runacher s’est aussi exprimée sur la définition de la souveraineté alimentaire, insistant sur le fait que c’est bien la vision du gouvernement qu’elle donne. « La souveraineté alimentaire, ce n’est pas seulement la capacité de nourrir nos populations, c’est aussi assumer une responsabilité de sécurité alimentaire d’un certain nombre de zones du globe avec lesquelles nous avons des intérêts stratégiques. C’est-à-dire que nous assumons une vocation exportatrice. Parce que c’est aussi un élément de stabilité géopolitique et de protection des Françaises et des Français, des Européens et des Européennes. »

Être souverain ce n’est pas forcément « produire tout sur le territoire français », souligne Agnès Pannier-Runacher. « Ce n’est raisonnablement pas possible pour toutes les filières. C’est aussi maîtriser son risque au niveau des importations, c’est-à-dire ne pas dépendre d’un seul pays », argumente-t-elle.

« La souveraineté, c’est certes la souveraineté alimentaire, mais c’est aussi notre capacité à continuer à exporter et à garder a minima nos parts de marché », appuie Yves Madre.

Concurrence déloyale

Interrogée sur les moyens dont pourraient disposer les agriculteurs français pour faire face à la concurrence déloyale d’autres pays, Agnès Pannier-Runacher a listé trois éléments. D’abord, la ministre a mis en avant la nécessité de renforcer les clauses miroirs au niveau européen, mais aussi de renforcer les contrôles et d’avoir une DGCCRF (répression des fraudes) européenne qui soit en capacité d’effectuer davantage de contrôles sur les denrées.

« Il faut aussi éduquer nos consommateurs et redonner de la valeur à la nourriture, a-t-elle poursuivi. […] Et puis la troisième chose, c’est qu’il faut reconnaître lorsque, dans notre stratégie, il y a des défauts. La premiumisation qui a beaucoup été poussée alors qu’il n’y a pas forcément de débouché, […] c’est un problème. Demander à des agriculteurs de s’installer en bio, si le marché est en train de sombrer, ça ne va pas. »

« Et on a probablement parfois eu tendance, plutôt que de préserver la continuité et s’assurer que les agriculteurs en bio aient le bon niveau de revenu, à vouloir accélérer la conversion pour finalement s’apercevoir que le marché n’était pas au rendez-vous, enchaîne-t-elle. Et ça, c’est une responsabilité publique, que, je crois, il faut assumer. »

L’importance du « commun » dans la Pac

Pour Yves Madre, il y a plusieurs niveaux dans la problématique de la concurrence déloyale et les clauses miroirs ne peuvent pas tous résoudre. Si l’on se place au niveau intra-européen, la solution passe par « plus de communs, plus d’Europe, plus de décisions prises au niveau européen et peut être moins de flexibilité », tranche-t-il.

« La tendance facile quand on n’a pas de vision claire et forte pour l’Union européenne, c’est de renvoyer la balle aux États membres en leur disant, la dernière fois on vous a donné de la flexibilité [NDLR : avec des plans stratégiques nationaux de la Pac] et bien là, on va vous donner de la flexibilité pour définir 27 stratégies nationales [NDLR : pour la nouvelle Pac post-2027]. Ça ne fait parfois pas une stratégie européenne ! », dénonce-t-il.

Mais d’après cet observateur privilégié à Bruxelles, « le commun est en train de revenir au grand galop dans les esprits des États membres ». Les ministres de l’Agriculture de dix-neuf États membres se sont d’ailleurs joints à la ministre de l’Agriculture française pour réclamer le maintien du budget de la Pac en deux piliers.