À Lauret, dans les Landes, située aux frontières des Pyrénées-Atlantiques et du Gers, l’exploitation de Lionel Capdeboscq est bien silencieuse. Début 2022, son élevage a été dépeuplé de manière préventive, près d’un an après l’avoir été en raison d’une contamination par l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP). « La première fois, ça a été très dur moralement pour mes parents. De mon côté, j’ai accusé le coup quelques jours, puis il a fallu rebondir. Mais là, j’ai une baisse de moral. J’espère qu’avec l’arrivée des canetons, la motivation reviendra », raconte Lionel.

Difficile de se projeter

Contrairement à la crise précédente, l’épizootie a largement sévi dans le Grand Ouest cette année, une zone clé pour l’élevage de reproducteurs. Difficile, donc, de se projeter pour le redémarrage de l’activité.

« C’est très compliqué de trouver des canetons. Un couvoir m’en a promis pour juin, mais il m’en faudrait déjà en mai pour assurer le gavage et la conserverie dès septembre, sans quoi je n’aurai pas suffisamment de stocks pour la fin d’année », explique l’éleveur. Sans compter le nouveau bâtiment en construction prévu pour la claustration des animaux en période à risque, qu’il va falloir amortir. L’investissement devrait frôler les 90 000 euros.

Lionel Capdeboscq (Landes) : « J’espère retrouver le moral avec l’arrivée des canetons. » © R. Borget

Sur l’activité canard, le chiffre d’affaires de Lionel, entièrement réalisé en vente directe, a été amputé de 100 000 euros à chaque épisode d’IAHP. Si ses clients semblent pour le moment lui rester fidèles, « cela fait quatre mois que je ne peux plus satisfaire leur demande. Vont-ils m’attendre jusqu’à la reprise de la production ? », s’interroge-t-il.

« Cela n’arrive pas qu’aux autres »

Chez Alain Debare, à Nueil-les-Aubiers dans les Deux-Sèvres, à quelques kilomètres de la Vendée, la nouvelle est tombée le mardi 5 avril au soir. Un lot de 12 000 canards prêts à gaver devait quitter l’élevage le lendemain. Le test réglementaire prévu avant tout mouvement d’animaux avait été réalisé le matin.

« J’ai reçu un appel pour me dire que les 60 prélèvements réalisés étaient tous positifs au virus », se souvient le producteur. Pourtant, aucun signe n’était visible dans l’élevage. « J’ai trouvé les premiers cadavres trois jours après les tests, le jour même des euthanasies. » Alain avait pourtant pris toutes les précautions pour éviter ce scénario. « Je n’avais fait aucune erreur : bande unique, trois semaines de vide sanitaire, nettoyage et désinfection en suivant le protocole à la lettre, matériel dédié, paille stockée sous abri… Ça a été un choc de réaliser que cela n’arrive pas qu’aux autres. » L’éleveur parle d’un grand stress, d’un cauchemar, mais pondère aussitôt : « J’ai 57 ans, j’arrive en fin de carrière. C’est pire quand ça tombe chez un jeune de 30 ans. »

Philippe Clec’h (Finistère) : « Nous devons être indemnisés pour le manque à gagner. » © I. Lejas

L’opération d’abattage des 12 000 animaux était « très bien organisée », se souvient Alain. Une équipe de 25 personnes est arrivée pour mettre en place le chantier. Elle était accompagnée de deux camions équipés du matériel pour euthanasier les oiseaux, et de deux autres pour emporter les cadavres dans des bennes étanches et empêcher tout risque de contamination.

Durant cette épreuve, Alain s’est senti épaulé. Sa coopérative, les services vétérinaires et la MSA lui ont proposé un soutien psychologique qu’il n’a pas jugé nécessaire. « Des voisins m’ont aussi appelé pour m’apporter leur soutien. »

À Carnoët, dans le Finistère, les deux poulaillers de Philippe Clec’h sont également vides. « Je devais recevoir des lots de poulets le 4 avril. Mais avec la découverte d’un foyer de grippe aviaire le 1er avril à Plounévézel dans un élevage de canards, tout est stoppé », rapporte le producteur. Son exploitation est située dans la zone de surveillance établie sur un rayon de 10 km autour du foyer. Sept autres éleveurs de son groupement (Yer Breizh, ex-Doux) sont concernés, et représentent 16 000 m² au total. Sans compter les aviculteurs des autres groupements.

Les factures continuent de tomber

« Je vais quasiment avoir 7 semaines de vide sanitaire entre deux lots. Je perds donc un lot », calcule-t-il. Et même s’il espère remplir ses bâtiments début mai, il n’aura pas de paiement avant le 15 juillet, un mois après la sortie des animaux. Or les factures et les prélèvements continuent de tomber. Les cuves de gaz sont pleines, l’aliment est dans le silo pour le démarrage des poussins.

« Tout était prêt, se désole Philippe. Quand on est habitué à passer voir ses animaux trois fois par jour, c’est le grand vide. Je suis solidaire avec les éleveurs qui ont dû abattre leurs volailles. »

L’éleveur réclame une indemnisation pour ce manque à gagner. « À l’instar des restaurants qui ont été mis à l’arrêt pendant le Covid, les éleveurs doivent pouvoir bénéficier des aides de l’État. »

R. Borget, M. Guillemaud et I. Lejas