Pourquoi avoir mené cette étude sur la charge mentale des éleveurs ?
« Nous sommes partis du terrain, décrit Marion Ruch, conseillère à la chambre d’agriculture de la Bretagne. En tant que conseillère, spécialisée en aviculture, je voyais régulièrement des éleveurs quitter prématurément le métier sans pour autant être en difficulté financière. Il y avait de quoi se poser des questions. C’est ce que nous avons fait au travers de cette étude. »
« Concrètement, nous avons concentré notre travail sur les producteurs de lait [NDLR : de vache], de volailles de chair et de poules pondeuses. Sur le plan méthodologique, nous avons mené des entretiens semi-directifs auprès des éleveuses et éleveurs et, en parallèle, enquêté auprès des acteurs de ces filières. »
Qu’avez vous appris ?
« Avant de répondre à cette question, il faut préciser ce qu’on entend par charge mentale. De fait, nous l’avons approchée comme une balance avec d’un côté les tâches et les informations à organiser/gérer pour atteindre les objectifs ; de l’autre, les ressources physiques et mentales de l’individu. »
« Ce qu’on peut dire, c’est que les éleveurs ont intégré ce concept de charge mentale. Ils considèrent que celle-ci fait partie de leur métier et qu’elle peut même être stimulante ! Pour autant, une majorité la qualifie d’“élevée” à “très élevée”. Quand on les interroge sur ce qui génère cette charge mentale, la première réponse c’est “travailler avec du vivant”. Ensuite et par ordre décroissant, la gestion de l’exploitation, les aspects financiers, les préoccupations personnelles et les responsabilités qui vont avec. »
« Les composantes de la charge mentale sont donc diverses mais aussi diversement perçues. Si on reprend la composante “travailler avec du vivant” qui correspond peu ou prou aux soins aux animaux, certains éleveurs disent la subir, d’autres l’acceptent. Pour la majorité enfin, elle est pesante parce que chronophage. »
Vous avez interrogé des éleveurs laitiers et des aviculteurs. D’une production à l’autre, avez-vous constaté des différences ?
« Oui, tout à fait. De manière générale, on peut dire que les aspects extérieurs — le regard de la société en particulier — prennent plus de place en aviculture qu’en production laitière. »
« Ensuite, il y a des spécificités propres au métier. Pour les éleveurs de volailles de chair par exemple, la période qui précède les enlèvements et leur gestion sont des sources de préoccupation forte, de stress même. Les éleveurs de poules pondeuses, quant à eux, mettent en avant les aspects économiques, en particulier la rémunération de leur travail mais aussi l’équilibre familial, “avec des œufs qu’il faut ramasser tous les jours”. »
« Certains expriment enfin un sentiment de dévalorisation “face au manque de soutien des groupements, trop déconnectés du terrain”. »
Puisqu’elle fait partie de leur métier, comment les éleveurs gèrent-ils cette charge mentale ?
« D’abord en organisant le travail. C’est un moyen d’introduire de la flexibilité, d’équilibrer travail et vie personnelle mais, pour les éleveurs qui travaillent seuls ou face aux pics d’activité, il est insuffisant. »
« Dans l’étude, les éleveurs ont évoqué trois autres points d’appui : l’optimisation technique de l’outil de travail, l’utilisation de nouvelles technologies et, enfin, les échanges avec les acteurs de proximité : le technicien ou le vétérinaire par exemple. »
(1) Cette étude a été menée en partenariat avec l’Institut Agro Angers Rennes et le Réseau mixte technologique « Travail en agriculture ». Les premiers résultats ont été présentés le 26 novembre 2024 à Angers (Maine-et-Loire).