4 000 km de paysages

J’ai marché par hédonisme pour me ressourcer, pour la beauté de la nature et le goût des rencontres. J’ai la chance d’avoir été élevé à la campagne, en Touraine. Dans mes deux fois 2 000 kilomètres et 72 jours de marche effective, j’ai tracé deux diagonales : des Ardennes au Pays Basque en 2013, puis de la Pointe du Raz à Menton en 2014. J’ai voulu rencontrer la France telle qu’elle est, vue par les Français tels qu’ils sont.À travers des milliers d’échanges, j’ai rencontré une France en difficulté mais pleine de ressources.

Déprise industrielle

Il y a des éléments de pessimisme. En traversant les friches industrielles par exemple, en Ardennes, en Lorraine, dans la Marne, j’ai été témoin d’un mal-être terrible. La population semble démobilisée, persuadée que le pire est à venir. Le chômage dépasse les 22 %. Dans cette France ravagée, les discours politiques sont inaudibles car ils sont accusés d’avoir amené à ce présent insupportable. J’y ai observé la déprise industrielle mais pas de déprise agricole : la part manufacturière a baissé à 9 % du PIB mais les terres, elles, sont toujours cultivées. Il y a une tension en agriculture, mais une extraordinaire progression de la productivité. Cependant les anciens territoires industriels sont de vrais îlots de pauvreté, dissuasifs même pour les néoruraux.

Fierté d’être enracinés

Mais, élément d’optimisme, j’ai vu des territoires qui vont mieux pour des raisons au moins autant psychologiques qu’objectives. Dans le Grand Ouest, où le chômage est inférieur à la moyenne nationale, il y a une extraordinaire fierté d’être enraciné dans un territoire. On a le sentiment de continuer l’histoire, avec ses traditions culinaires, culturelles, d’être partie prenante. Cela donne une énergie considérable et du désir.

Quand un nouveau parc naturel régional se crée, comme en Brenne, cela peut générer des tensions… Mais ça redonne aussi une fierté aux habitants, ça accroît leur attachement à leur territoire. Ils attirent aussi nouveaux habitants et touristes.

Depuis quinze ans, on observe un mouvement de relocalisation de population à la campagne. Mais la France rurale se repeuple surtout près des bassins d’emploi et grâce aussi aux néoruraux, qui s’installent en développant de nouvelles activités grâce au travail à distance.

La force de 500 000 élus

Dans commune, il y a commun ; pour faire « commune » il faut avoir quelque chose à mettre en commun : commerce, école, place de village, fêtes. Lorsque l’on crée de nouvelles collectivités, il faut se demander à quelle réalité perceptible elles correspondent pour que les citoyens se les approprient. 36 000 communes ce sont 500 000 élus, quasi bénévoles, dévoués au service des leurs. J’ai eu l’occasion de dire au Président de la République qu’il serait dommage de se passer de cette force.

(1) Axel Kahn a été directeur de recherche à l’Inserm et directeur de l’Institut Cochin. Il a été également le président de l’université ParisDescartes (2007-2011).

(2) « Pensées en chemin : ma France des Ardennes au Pays basque » et « Entre deux mers : voyage au bout de soi », éditions Stock.